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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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juste trempée. Alors qu'elle paraissait sur le point de s'effondrer, elle se leva d'un bond, les yeux exorbités, les joues inondées de pleurs.
    —  Mala Francia ! hurla-t-elle à pleins poumons. Roma ! Roma !
    Un long silence lui répondit. La stupeur n'eût pas été plus grande si elle avait brusquement arraché ses vêtements ou saisi une épée pour se jeter sur le roi. Que la France fût mauvaise, ma foi, on pouvait tolérer qu'elle le pensât : elle n'y avait guère été heureuse. Mais son cri de « Rome ! » avait de quoi faire froid dans le dos. La jeune Danoise, en qui on n'aurait pas soupçonné une telle volonté, refusait la sentence de divorce et en appelait au pape. Un appel entendu par trop de témoins pour être ignoré : l'abbé d'Aebelholt, au moins, ne demanderait pas mieux que d'aller plaider la cause de sa chère reine auprès de Célestin III.
    — Êtes-vous sûre de vouloir le braver ainsi ? lui demanda-t-il, comme elle s'affaissait de nouveau sur son siège, pour de bon.
    Elle le regarda dans les yeux et fit l'effort de lui sourire, malgré sa peine. Autour d'eux, on se remettait de la surprise initiale, on murmurait, on s'exclamait.
    — Je suis reine de France, affirma-t-elle. (Elle lui prit la main, la serra avec force.) Et je le resterai, messire Guillaume. Je le resterai !
    Philippe, furieux, avait déjà quitté la pièce.
    « La même année, Philippe le Magnanime prit pour femme
dans la ville d'Amiens Isambour, sœur de Canut, roi des Danois.
Le jour même qu'elle fut bénie et couronnée, on dit que, par l'effet
de sorts et de maléfices, le roi commença à moins l'aimer et à la
priver des droits qui lui appartenaient sur son lit et sa personne.
Enfin, ayant été prouvé qu'il existait entre eux un lien de parenté,
elle fut séparée de lui. Cependant, elle ne quitta pas la France, et
reçut du fisc ce qui lui était nécessaire pour vivre. »
    Guillaume le Breton, Chronique en Pros e

II

1
    En Angleterre, la vieille reine Aliénor vivait une des périodes les plus actives de son existence mouvementée : tout en redoublant d'efforts afin de réunir la rançon de son fils Richard, elle devait combattre les tentatives de son fils Jean pour s'emparer du royaume. Comme de coutume, elle s'acquittait de ses tâches avec une efficacité que lui eussent enviée bien des rois.
    Philippe n'en ignorait rien. Ce fut la raison pour laquelle dès qu'il devint évident que l'empereur relâcherait son captif quand on lui aurait versé une somme suffisante, il rencontra à nouveau Jean sans Terre. D'accord, ils envoyèrent une nouvelle ambassade en Germanie, proposant à Henri VI la somme de quatre vingt mille marcs s'il ne libérait pas Richard avant la saint Michel de l'année suivante, somme à laquelle ils ajouteraient mille marcs par mois supplémentaire de captivité. Si l'empereur préférait leur remettre son royal prisonnier, ils lui verseraient immédiatement cent cinquante mille marcs. Selon Philippe, ce marchandage n'ajoutait rien à sa gloire, mais s'il lui permettait d'arriver à ses fins, il n'avait pas à en avoir honte non plus : la sécurité du royaume valait bien de déroger quelque peu à l'idéal chevaleresque ; ce serait en fonction du résultat que les générations futures loueraient sa ruse ou fustigeraient sa fourberie.
    Tant qu'il disposait du prince Jean à Paris, il le convainquit de signer avec lui un pacte d'union contre son frère. Par ce document, le cadet d'Aliénor non seulement se reconnaissait son vassal pour ses terres continentales, mais il lui concédait de plus en propre la totalité de la Normandie à l'est de la Seine, ainsi que de nombreux fiefs ou places fortes en Touraine. Le roi de France et celui qui se considérait comme roi d'Angleterre convenaient par ailleurs de ne pas signer de paix séparée avec Richard, afin que ce dernier, une fois de retour, fût aisément vaincu par leurs forces conjuguées.
    Philippe, qui avait pu apprécier la veulerie de Jean, comptait utiliser ce trait pour se faire de lui un allié indomptable : après avoir ainsi trahi ouvertement son aîné, le prince ne pourrait qu'en redouter la vengeance ; il ne se rendrait pas aisément.
    C'était hélas méconnaître l'absence de caractère du jeune Plantagenêt : cette erreur de calcul aurait de graves conséquences, au point que le Capétien, qui n'avait jamais sous-estimé ses ennemis, se ferait par la suite une obligation de ne pas non plus

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