Le roi d'août
temps, certains de ses membres s'étaient installés de leur plein gré parmi ces derniers, le plus souvent à l'occasion d'un amour inattendu. On savait comment cela se déroulait. On connaissait le prix à payer.
— Nous nous mettons à vieillir au même rythme qu'eux ? répéta Isambour. C'est impossible. Ça ne peut pas être naturel. C'est de la magie.
— Mais la nature est magique, assura le roi. Tu t'en rendras compte quand tu sauras lui parler.
Depuis quelques siècles, de plus en plus de membres du peuple partaient vivre chez leurs frères grégaires sans autre raison que de s'y marier, de mêler leur sang à celui de l'humanité. D'autres, moins idéalistes ou plus timorés, mais voulant tout de même se dévouer, faisaient élever un de leurs enfants par l'autre race ; souvent, un bébé qui mourait au berceau était remplacé sans que quiconque s'en aperçût. Ceux des pierres, notamment, étaient coutumiers du fait, en raison de leur apparence parfaitement humaine…
Isambour avait baissé la tête. Songeuse, elle regardait ses mains. Voilà donc comment une fille des pierres était devenue celle du roi de Danemark.
— Un bébé qui meurt au berceau ? dit-elle en relevant les yeux. Il est bien connu que les trolls enlèvent aussi des enfants vivants pour les remplacer par les leurs.
Le roi eut un petit rire indulgent.
— Que voudrais-tu qu'ils en fassent ? Qu'ils les mangent ? Nous ne sommes pas les ennemis des humains, Isambour. Même ceux d'entre nous qui ne veulent pas les côtoyer ne sont pas leurs ennemis. Nous avons aussi nos criminels et nos fous, il peut donc se produire des incidents, mais jamais sur une grande échelle. Tes parents n'étaient ni des ravisseurs ni des assassins, rassure-toi : la première Ingeborg – celle-là ne s'est jamais appelée autrement – est morte moins d'un jour après sa naissance.
La jeune femme hocha machinalement la tête. Il lui semblait être en train de rêver encore. Assimiler toutes les informations qu'elle recevait cette nuit-là lui demanderait de longs jours.
— Pourquoi êtes-vous venu ? demanda-t-elle après un long silence que son interlocuteur n'avait pas tenté de rompre.
— Parce que tes parents, tes vrais parents, naguère, m'ont demandé de m'intéresser à toi. Ils n'ont pas eu le cœur de te regarder grandir, vieillir. Ils ont payé leur tribut à la cause qu'ils croyaient juste et ils sont partis très loin, faire d'autres enfants. Tu ne les connaîtras jamais, et c'est sans doute mieux ainsi. Avant de s'en aller, toutefois, puisque tu étais le premier être de notre race à grandir au sein d'une lignée royale, ils m'ont dit où tu te trouvais, sous quelle identité. Nous savons qu'il nous est facile de nous glisser parmi des paysans ou des ouvriers, nombre d'entre nous se sont déjà faits bourgeois, voire nobles de petite souche, mais aucun n'a encore jamais régné sur des humains. Il est intéressant de savoir si nous en sommes capables…
La bouche d'Isambour adopta un pli amer.
— Je crains qu'un autre essai ne soit nécessaire pour tirer une conclusion valable, dit-elle avec une sombre ironie. Je ne règne pas sur grand-chose…
— Cela peut changer.
— J'en doute. Pour Philippe, je suis un monstre. Il vaut mieux, je crois, que je lui donne satisfaction : il ne me reprendra jamais auprès de lui. (Elle marqua un temps d'arrêt, soucieuse.) C'est étrange : à présent que j'ai compris comment il s'en est rendu compte… (Elle s'interrompit à nouveau.) La manière dont il m'a demandé d'ouvrir les yeux… On aurait dit qu'il savait déjà.
— Il ne savait rien, mais cet homme-là a dû demander à toutes les femmes qu'il a connues de garder les yeux ouverts pendant l'amour. C'est aussi pour lui que je suis venu, pas seulement pour toi.
— Il connaît notre existence ? s'étonna Isambour.
— Bien plus que cela.
Alors, le roi raconta Philippe et Lysamour, Lysamour et Hugues Capet. À la fin de son récit, la jeune femme avait les larmes aux yeux.
— Comme tu le vois, j'ai déjà influencé une fois son destin : cela me vaut des responsabilités. Bien sûr, je ne puis en toute conscience intervenir que lorsque notre peuple est directement concerné : j'ai arrêté le bras vengeur de Lysamour, je ne lèverais pas un doigt pour protéger Philippe de l'épée d'un adversaire ou du poignard d'un assassin humain.
— Et pour moi, que ferez-vous ? interrogea Isambour.
— Rien ou
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