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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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fermant les paupières, ce qui rompit le sortilège sans qu'elle tentât pour autant de résister à la sensation grandissante. Étrangement, alors que de son propre aveu il le lui inspirait, ce désir ne se concentrait pas sur son visiteur. Il n'avait pas d'objet particulier, sinon celui qu'elle voudrait bien lui donner.
    Le visage de Philippe se forma dans son esprit.
    Parce qu'il avait été le premier et le seul à lui faire ressentir cela, peut-être, et aussi parce qu'il avait su un instant baisser devant elle le masque. Il n'était pas cruel par nature. Elle avait perçu en lui une blessure profonde, ouverte, fondamentale, qui le poussait à se conduire en dépit de ses aspirations et, parfois, du bon sens. Elle lui en voulait certes de ce qu'il lui faisait subir, mais il lui semblait bien qu'elle l'aimait malgré tout.
    Elle sursauta, choquée de ce qu'elle venait de formuler pour la première fois mais consciente que c'était pure vérité. L'image de son époux ne la quitta pas tandis que, se mordant les lèvres, elle commençait à haleter, à osciller inconsciemment des hanches.
    La voix qui la ramena à la réalité lui fit l'effet d'un seau d'eau en plein visage.
    — Ouvre les yeux et regarde-toi ! ordonna l'inconnu.
    Automatiquement, elle obéit, levant le miroir à la hauteur de son visage.
    Et elle vit ses yeux.
    Et elle comprit.
    Le cri qui lui échappa, long, strident, résonna dans les couloirs de l'hôtellerie mais n'atteignit pas le reste de l'abbaye. La suivante flamande d'Isambour, qui dut bien l'entendre, elle, ne se montra pas ; peut-être avait-elle des ordres.
    Choquée au plus profond de son être, la jeune femme se rejeta en arrière sur ses oreillers et éclata en sanglots. Elle pleura longuement, aussi longuement qu'au terme de son unique nuit d'amour – et tant qu'elle pleura, son compagnon ne prononça pas un mot, la laissant se répandre et se détendre à la fois.
    Lorsqu'elle fut calmée, lorsqu'elle essuya enfin à l'aide d'un coin de drap des yeux redevenus normaux et, reniflant discrètement, l'interrogea du regard, il se mit à parler.
    Il existait un peuple qui vivait en marge de l'humanité. Qui, peut-être, avait donné naissance à l'humanité, à moins que tous deux ne fussent issus d'un tronc commun perdu dans la nuit des temps.
    — J'incline à penser que nous sommes plus anciens, dît le roi, parce que nous faisons partie de leurs légendes alors qu'ils sont absents des nôtres. Peut-être certains d'entre nous ont-ils acquis l'instinct grégaire, à un moment donné, et à force de vivre entre eux, à force de cultiver plutôt que de cueillir, ils ont oublié leur rapport à la nature, leurs pouvoirs. Ensuite, ils les ont perdus, puisqu'ils n'en avaient plus besoin. C'est mon idée. Certains en ont d'autres, plausibles également. Tu es libre de te faire la tienne.
    Le peuple n'avait pas de nom car ses membres n'en avaient jamais ressenti le besoin, et il était d'une diversité étonnante – quoique bien inférieure à celle que lui prêtaient les légendes humaines. Centaures, sirènes, satyres, toutes ces créatures à mi-chemin entre l'homme et la bête étaient nées d'affabulations, d'hallucinations et d'exagérations. Il y avait ceux des rivières, qui vivaient près de l'eau, dans l'eau, de l'eau, et qui pouvaient se fondre en l'eau ; il y avait ceux des forêts, qui habitaient les arbres et les fougères, qui voyageaient par les chemins végétaux ; il y avait ceux des pierres et de la terre, qui occupaient montagnes ou cavernes…
    — Les trolls, dit Isambour. Chez nous, on les appelle les trolls…
    Puis elle se rappela son enfance, la pierre contre sa peau nue, la terre qui enserrait son corps, le plaisir… Ses yeux s'agrandirent.
    — Oh, mon Dieu ! s'exclama-t-elle. C'est ce que je suis, n'est-ce pas ? Je suis un troll !
    — Pas du tout, corrigea son compagnon. Tu es une fille des pierres et de la terre. Les trolls sont des monstres grotesques inventés par les humains, avec nous pour modèles, oui, mais ô combien déformés.
    Ceux des rivières, ceux des mers avaient des branchies ; ceux de l'air des ailes et l'ossature légère ; certains étaient de très petite taille, d'autres au contraire très grands ; et puisque tous étaient capables de se désirer et de se féconder, on rencontrait les hybrides les plus divers ; des qui n'étaient ni de l'eau ni de la terre mais un peu des deux, des qui avaient des branchies et des

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