Le roi d'août
dans sa poitrine et dans son ventre. Un petit gloussement lui échappa : elle n'eût pas été plus voluptueuse au sein d'un océan de plume.
Il lui faudrait trouver la réponse à toutes les questions qui couvaient en elle, elle le savait. De cette réponse dépendrait le cours de son existence. Mais elle ne trouverait ni ne chercherait rien de tel cette nuit-là. Elle s'autorisa encore quelques instants de plaisir sensuel au contact de la pierre, puis sa gêne la reprit et elle retourna s'enfouir sous les couvertures, soufflant la chandelle au passage.
Étrangement détendue, bien moins pessimiste qu'avant le passage de son visiteur impromptu, encore qu'elle ne fût pas sûre de savoir pourquoi, elle s'endormit avec une aisance peu coutumière. Elle dormait encore lorsque sonnèrent Matines.
« Il y a chez nous une perle précieuse foulée aux pieds par les
hommes, honorée par les anges, digne d'un trésor royal, digne d'un
palais, digne du ciel : je veux parler de la reine qui est enfermée à
Cysoing, comme en une prison, accablée de pauvreté, reléguée en
exil Réduit à plaindre le sort de sa personne, nous laissons à Dieu
la cause de ce sort et l'issue qui lui sera donnée ; mais qui pourrait
avoir à ce point un cœur de fer, une poitrine de pierre, des entrailles
assez dures pour ne pas être ému de voir en une telle adversité une
jeune femme illustre, de naissance royale, de mœurs remarquables,
dont les paroles sont si dignes et les actes si purs. »
Étienne, évêque de Tournai, lettre à Guillaume aux Blanche s Mains, archevêque de Reims.
3
Les amis de la reine, pendant ce temps, n'étaient pas restés inactifs. Knut VI avait envoyé à Rome André, son propre chancelier, en compagnie de l'abbé d'Aebelholt, muni des documents généalogiques prouvant l'absence de parenté entre Isambour et la première épouse de Philippe.
Le roi de France n'ignorait pas ces appels au pape mais n'en avait cure : Célestin III, quand ils s'étaient rencontrés, s'était montré très favorable au souverain français, lequel ne lui croyait pas assez de volonté pour l'affronter dans une question somme toute secondaire pour la Chrétienté. Le pontife ne désespérait pas de convaincre les rois occidentaux de financer une nouvelle expédition outre-mer, aussi ne se souciait-il guère de les contrarier.
Comme s'il avait bel et bien été libre, et sous l'impulsion de ses conseillers qui le suppliaient de trouver au plus vite un appui en terre d'Empire, Philippe envoya donc des messagers à Conrad, comte palatin du Rhin, pour solliciter la main de sa fille Agnès, cousine de l'empereur.
Il n'avait pas encore reçu de réponse, au tout début du printemps, quand le pape, après avoir longuement tergiversé, cassa la sentence de divorce prononcée par l'archevêque de Reims. Les deux envoyés du roi de Danemark furent chargés de lettres à porter au roi et aux évêques de France pour les informer de cette décision.
Sachant que Philippe possédait à Rome des agents chargés de les surveiller, voire de contrarier leurs manœuvres auprès de Célestin, le chancelier André et l'abbé Guillaume quittèrent la ville discrètement et prirent la route de France. Leur voyage s'interrompit à Dijon : le nouveau duc de Bourgogne, Eudes III, qui donnerait toujours un exemple rare de fidélité à son suzerain, les fit arrêter et jeter en prison, après avoir confisqué les documents qu'ils acheminaient. Leur détention s'adoucit bientôt, devenant liberté surveillée à Clairvaux, mais ils n'en demeuraient pas moins à la disposition du roi de France.
Lequel ne fut pas très heureux de la manière dont il obtint de leurs nouvelles : André était parvenu à conserver par-devers lui une copie de la lettre du pape ; l'abbé d'Aebelholt l'avait fait parvenir au frère Bernard de Vincennes, avec qui il entretenait les meilleurs rapports. Quand Bernard vint le trouver pour le supplier de se conformer à la volonté de Célestin, Philippe entra dans une de ces colères violentes qui lui étaient désormais coutumières. Il déchira la lettre du pontife et en jeta les débris au visage du vénérable ecclésiastique.
— De quel droit a-t-on libéré ces hommes sans m'en avertir ? tempêta-t-il. Je veux qu'on les remette au secret ! Quant à vous, bon frère, vous savez combien je respecte vos avis en matière religieuse, mais je vous supplie de ne pas vous opposer à moi sur cette question. Je ne le
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