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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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spolié surgi de sa prison pour reprendre tout ce qu'on lui avait pris, l'homme qui avait humilié le roi de France, cette force de la nature qu'on eût jurée indestructible gisait sur une couche de fortune, sous une tente battue par une giboulée. Une tache rouge vif marquait le bandage noué autour de son épaule. La crispation de ses mâchoires révélait qu'il souffrait.
    Les yeux mi-clos, il contemplait fixement l'homme que Mercadier venait de pousser devant lui : une espèce de rustaud brun, râblé, dont les traits n'exprimaient que mépris, dépouillé de tous ses vêtements hormis sa chemise.
    Cet homme-là se nommait Bertrand de Gourdon. C'était l'unique survivant de la garnison de Châlus : le capitaine des cotereaux, après avoir enlevé la place, en avait fait pendre tous les défenseurs. C'était également l'arbalétrier qui avait tiré le carreau fatal.
    — Quel mal t'avais-je causé ? interrogea le roi. Pourquoi m'as-tu tué ?
    — Vous avez bien tué, vous, de votre main, mon père et mes deux frères, répliqua Bertrand, agressif. J'ai pris ma revanche. Vous pouvez me faire ce que vous voulez, à présent, pourvu que vous mourriez.
    Mercadier, un géant barbu et cuirassé qui se tenait juste derrière le prisonnier, le gratifia d'une gifle sur la nuque pour lui apprendre à tenir sa langue.
    — Assez ! enjoignit Richard en levant une main lasse. Je ne veux pas qu'on ennuie cet homme. (Il s'adressa de nouveau à l'arbalétrier.) Je n'ai pas le souvenir de ton père et de tes frères, mais je les ai peut-être tués, je ne le nie pas. J'en ai tué tellement… (Il marqua une pause.) Puisque je dois me présenter devant mon créateur, il me plaît de pardonner à mes ennemis. Mercadier ! Tu donneras à ce soldat une bourse et un sauf-conduit pour traverser le pays. Qu'il aille donc vivre en France. Il verra si Philippe est un meilleur maître que moi.
    Le capitaine des cotereaux hocha la tête puis, saisissant Bertrand aux épaules, le poussa hors de la tente. À peine eurent-ils fait dix pas qu'il le propulsa entre les mains de deux de ses lieutenants.
    — Bâillonnez-le pour que le roi n'entende pas ses cris, ordonna-t-il. Ensuite, écorchez-le très lentement, puis pendez-le à un arbre !
    L'arbalétrier s'offrit le plaisir de lui cracher au visage. Il n'en aurait plus jamais d'autre.
    Le lendemain, Richard allait mieux ; sa blessure semblait devoir cicatriser. Malgré l'opposition formelle de son médecin, il prit part aux réjouissances de ses soldats victorieux, mangea comme à l'ordinaire, but de même et troussa une ribaude avant de s'écrouler ivre mort sur sa couche. Ce fut la douleur qui l'éveilla, un peu avant l'aube : la plaie s'infectait.
    Il lui fallut encore quatre jours pour mourir. Le dernier, il reçut la visite de sa mère, Aliénor d'Aquitaine, qu'on était allée quérir à l'abbaye de Fontevrault où elle s'était retirée. Ce ne fut pas sans un terrible serrement de cœur que la vieille femme contempla son fils agonisant. Il avait toujours été son préféré, et en outre, il était un de ses derniers enfants. Après lui, de tous ceux qu'elle avait mis au monde, ne resteraient plus que Jeanne, Aliénor et Jean. Sa douleur eût été plus grande encore si elle avait pu prévoir que Jeanne n'en avait pas pour un an à vivre.
    Richard, après lui avoir demandé sa bénédiction, lui fit jurer d'aller chercher Urraca en Castille et de la ramener à la cour de France, ainsi que d'aider son frère, qu'il désignait comme successeur, à régner sagement. Aliénor promit tout ce qu'il voulut puis le quitta pour qu'il ne la vît pas pleurer : depuis l'âge de raison, elle croyait bien n'avoir pas pleuré devant qui que ce fût.
    Le soir même, le six avril de l'an 1199, le Cœur de Lion cessa de battre à l'âge de quarante et un ans. Après avoir écrit l'histoire, Richard entrait de plain-pied dans la légende.
    « Présente une arbalète à Gourdon l'archer pour qu'il renvoie à
Richard les flèches que celui-ci a envoyées ; je veux que Richard
meure de cette mort, et non d'une autre, afin que lui, qui le premier
révéla aux Français l'usage de l'arbalète, expérimente sa chose le
premier et éprouve sur sa personne la puissance de la découverte
qu ' il a enseignée. »
    Guillaume le Breton, Philippide

2
    Un dilemme d'importance se posait aux barons anglais : Richard était mort sans descendance ; le trône devait-il revenir à son frère Jean ou à

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