Le roi d'août
son neveu Arthur ? La loi anglaise, pas plus que la normande ou l'angevine, n'était claire à ce sujet, et chacun des candidats disposait de droits légitimes. On pouvait arguer que Jean sans Terre, affligé d'une personnalité peu reluisante, ferait un mauvais roi. Le jeune duc de Bretagne, cependant, âgé de douze ans, n'avait encore eu l'occasion de se distinguer ni en bien ni en mal : en ferait-il un meilleur ?
Ce fut donc la politique qui emporta la décision, sous l'impulsion de Guillaume le Maréchal : Arthur était tout entier aux mains de ses conseillers et de Philippe de France. Malgré ses défauts, il valait donc mieux porter Jean sur le trône – respectant ainsi la dernière volonté du défunt roi.
Jean sans Terre fut couronné duc de Normandie à la fin du mois d'avril et roi d'Angleterre à la fin du mois de mai. Dès cet instant, l'empire Plantagenêt commença de se disloquer.
Philippe accueillit la mort de Richard avec des sentiments mitigés. À présent, jamais il ne saurait s'il eût été capable de l'emporter au bout du compte. Cette disparition n'en constituait pas moins pour lui une véritable aubaine. Sans attendre, poussé par l'enthousiasme, il s'enfonça en Normandie et s'empara d’Évreux, dont la traitrise du nouveau souverain anglais l'avait naguère dépossédé.
De là, il descendit vers Le Mans. Sous l'impulsion du sénéchal Guillaume des Roches, nommé par le Cœur de Lion avant sa mort, la plupart des seigneurs angevins s'étaient ralliés au parti d'Arthur et s'apprêtaient à l'accueillir pour l'introniser duc d'Anjou et du Maine.
Le garçon, rayonnant de se voir ainsi fêté, était cependant trop jeune pour mesurer ce qui lui arrivait. Marionnette entre les mains de sa mère, Constance, ainsi que de la noblesse bretonne, il confirma Guillaume des Roches dans sa charge de sénéchal d'Anjou, qu'il fit héréditaire. À Philippe, il rendit hommage pour l'Anjou, le Maine et la Bretagne. Le lendemain, à Tours, Constance remit solennellement son fils en tutelle au roi de France : une fois à Paris, Arthur serait protégé des complots que ne manquerait pas d'ourdir contre lui Jean sans Terre.
Lequel Jean, bien sûr, se rebiffa. Tout en acceptant de libérer contre rançon l'évêque de Beauvais et Dreux de Mello pour complaire au légat Pierre de Capoue, il reprit Le Mans d'assaut. Après une entrevue orageuse avec Philippe – dont il ne sortit rien puisqu'elle eut lieu au mois d'août –, il renoua les liens de son frère avec le comte de Toulouse au sud, ceux de Boulogne et de Flandre au nord, ainsi qu'avec Otton de Brunswick. Une nouvelle coalition se formait.
À la toute fin de l'été, le roi de France lança une offensive : Arthur et Guillaume des Roches dans son sillage, il envahit la Normandie, puis le Maine, prenant place sur place – comme si les garnisons, démoralisées d'avoir échangé le Lion contre la Poupée, n'avaient plus eu le cœur de se battre. À la fin septembre, les troupes franco-angevines contraignirent Jean sans Terre à s'enfuir précipitamment du Mans, et il sembla que l'Anglais n'eût qu'à bien se tenir pour conserver le moindre fief continental, voire le moindre droit sur quoi que ce fût. Deux incidents vinrent cependant interrompre la progression vers le trône d'Angleterre d'un nouveau roi Arthur – que sa mère n'avait pas baptisé ainsi sans arrière-pensée.
Tout d'abord, après avoir pris Ballon, non loin du Mans, Philippe, irrité de la résistance du château, le rasa purement et simplement. Cet acte lui valut les reproches d'un Guillaume des Roches affirmant qu'il en prenait à son aise avec les possessions du jeune duc de Bretagne.
— Par les saints de France ! Arthur ne m'empêchera jamais de faire ma volonté sur des terres qui m'appartiennent, répliqua-t-il, d'humeur peu diplomate.
Sur ces entrefaites, un messager venu de Paris l'informa que le légat Pierre de Capoue renouvelait la mise en demeure du pape quant au renvoi d'Agnès et au retour d'Isambour. Cette fois, la menace n'était plus abstraite : le roi refuserait-il de s'exécuter que l'ensemble de son domaine serait frappé d'Interdit.
Philippe savait Innocent mécontent de lui pour plusieurs raisons : puisqu'il n'envisageait pas de donner satisfaction au pontife en matière conjugale – on eût aussi bien pu lui demander de se trancher un bras que de se séparer d'Agnès –, il s'avisa que quelques compensations politiques ne
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