Le roi d'août
rattrape. À les voir perdre peu à peu du terrain, on devinait qu'ils seraient déçus.
Philippe, toujours troublé mais surtout bouillant de colère, vexé, se fît donner un destrier et prit la tête de la triste troupe qu'il commandait encore. Peu désireux de s'enfermer dans Gisors au risque d'y être pris tel un lapin au terrier, il décida un retour immédiat en France. Les villages qu'il croisa sur sa route, et ils furent nombreux, payèrent sa fureur en massacres et en incendies.
Le bilan de la journée était lourd : plus de quarante chevaliers noyés ou tombés au combat, près de cent autres capturés, et une armée en pleine débandade. Sans parler du coup porté au prestige tant de la France que de son souverain.
À la première occasion, Philippe dépêcha un messager à Soissons, où un couvent abritait désormais Isambour.
L'homme revint porteur d'une réponse prévisible : celle que nul n'osait appeler « la reine » en présence du roi était bel et bien prisonnière. On l'autorisait à circuler dans une partie du couvent pendant la journée mais en aucun cas elle n'eût pu en sortir.
Il s'était donc bien agi d'une vision. Nul n'avait le pouvoir de nager dans la terre, de toute façon.
Philippe, pourtant, demeurait mal à l'aise. Des bribes de paroles de Lysamour lui revenaient, troublaient son sommeil. Ceux des rivières ne ressemblent pas à ceux des pierres, qui ne ressemblent pas à ceux des forêts…
Deux semaines plus tard, une nouvelle défaite – moins spectaculaire mais cependant bien nette – le convainquit qu'il ne pouvait résister plus longtemps à Richard. Démoralisés par les succès anglais, ses alliés se rendaient de plus en plus sans combattre. Il lui fallait négocier pour éviter de tout perdre.
Ses conseillers, unanimes, lui affirmèrent qu'une demande de réconciliation aurait bien plus de chances d'aboutir s'il la présentait par l'intermédiaire du pape. Quoique répugnant à solliciter l'aide d'un pontife dont les lettres d'avertissement se faisaient de plus en plus sèches, il dépêcha donc à Rome le frère Guérin, muni de l'argent nécessaire pour graisser les paumes appropriées. L'Hospitalier démontra une nouvelle fois ses talents en convainquant Innocent III qu'il était dans son intérêt de réconcilier France et Angleterre. Attaché tel son prédécesseur à l'idée d'une nouvelle expédition outremer, le pape accepta d'intervenir et, en janvier, envoya en France son légat Pierre de Capoue pour négocier avec Richard.
Le digne prélat faillit bien échouer dans son entreprise. Pour avoir osé suggérer au Plantagenêt de libérer l'évêque de Beauvais, il se fit copieusement injurier et s'entendit répondre que ledit évêque ayant été capturé les armes à la main, il devait être considéré comme homme de guerre et non d'église : il croupirait au cachot jusqu'à ce qu'il plût à Dieu de le rappeler à lui.
Le roi d'Angleterre se montra par ailleurs tout aussi intraitable. Il consentit une trêve de cinq ans à son rival, mais en lui imposant des conditions draconiennes : d'une part, et c'était le plus grave, Philippe conservait de ses conquêtes normandes la seule place-forte de Gisors. D'autre part, il s'engageait à soutenir désormais le parti d'Otton de Brunswick dans la course au trône impérial.
C'était une capitulation pleine et entière qu'on attendait de lui, pas moins. La destruction de tout l'œuvre accompli depuis son arrivée sur le trône. Pourtant, le couteau sur la gorge et la mort dans l'âme, il signa le traité – accompagné d'une promesse de mariage entre le prince Louis et une nièce de Richard, probablement Urraca, fille de sa sœur Aliénor de Castille.
Il signa le traité puis il alla panser ses plaies d'amour propre auprès d'Agnès qui ne manquait jamais de lui rendre courage et énergie. Le pays, pendant ce temps, pansa ses propres plaies, ni propres ni d'amour, avec la neige pour emplâtre et le froid pour physicien, parfois pour fossoyeur.
Dès la reprise printanière des opérations militaires, Richard, lui, s'en alla châtier l'inconstant vicomte de Limoges qui l'avait trahi au profit de Philippe. Ce fut durant le siège d'un château du Limousin, celui de Châlus, qu'un carreau d'arbalète tiré depuis les remparts se planta profondément dans son épaule gauche.
Le troisième décès fut le sien.
La nuit était tombée.
Le puissant Richard Plantagenêt, le héros d'Acre, le captif
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