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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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et les clercs n'en apporteront nulle part, attendu que tous les sacrements sont prohibés, à l'exception du baptême des nouveau-nés et du viatique pour les mourants ; l'extrême-onction qui est un grand sacrement reste elle-même interdite. »
     
    — Seigneur, Philippe, ils vont nous maudire ! s'exclama Agnès, horrifiée.
    Ils reposaient côte à côte sur leur grand lit au ciel pourpre, encore enlacés, bien au chaud entre deux couettes. Dès qu'il avait appris la nouvelle, Philippe était parti à la recherche de sa femme, l'avait trouvée en train de soigner son étalon favori aux écuries, et l'avait entraînée jusqu'à leur chambre. Là, il l'avait dévêtue à la hâte, tandis qu'elle riait de ces impatiences de jeune époux, et lui avait fait l'amour avec une fougue inhabituelle, sans dire un mot. Ensuite, il lui avait exposé les faits.
    — Tu vas être obligé de me renvoyer, n'est-ce pas ? interrogea-t-elle, la gorge serrée.
    Il secoua doucement la tête.
    — Je ne sais pas, avoua-t-il. Je ne veux pas.
    — Imagine ce que sera ton royaume, demain, privé du secours de la religion. Tous ces gens qui ne pourront pas prier à l'église, ni communier, qui ne pourront même pas enterrer leurs morts ! Ce sera pour eux comme un avant-goût de l'Enfer.
    — Ça te fait peur ? demanda Philippe en se redressant sur un coude pour regarder sa femme dans les yeux. Ne pas communier, ne pas te confesser, te savoir en état de péché mortel ? Aller en Enfer ?
    Elle lui plaqua sur les lèvres un baiser appuyé.
    — Évidemment que ça me fait peur, répondit-elle, mais je l'accepte. Si aller en Enfer est le prix à payer pour demeurer auprès de toi, j'irai en Enfer. Seulement tous ces braves gens, eux, n'ont pas la consolation de t'aimer. Ils n'ont pas choisi. À leurs yeux, je suis la créature diabolique qui, en séduisant leur roi, en le détournant de la face de Dieu, appelle sur eux un châtiment qu'ils n'ont pas mérité.
    — Toi, une créature diabolique ? répéta Philippe avec un amusement amer. C'est trop drôle.
    — C'est pourtant le cas. Je suis la Jézabel, l’Égyptienne, la prostituée. L'usurpatrice… (Elle baissa les yeux ; sa voix se fit plus grave.) Et le pire, c'est qu'ils ont raison.
    — Ne dis pas de bêtises.
    — C'est toi qui en dis, renvoya Agnès en le regardant à nouveau en face. Veuille le roi me pardonner ma franchise, mais il s'illusionne. Ou il fait semblant de s'illusionner, ce qui revient au même, mais il ne me trompe pas, moi. (Ses lèvres se pincèrent en un pli douloureux.) Notre mariage n'est pas valable, Philippe, tu le sais. Il ne l'a jamais été. Tu le savais quand tu m'as épousée et je le savais aussi. Il était inévitable que nous en arrivions là un jour. Nous avons essayé de nous le cacher, mais à présent, il faut accepter la réalité. Je suis ta concubine. Ta femme, la vraie reine de France, c'est Isambour.
    — Non ! fit le roi en un déni enfantin, peu convaincu.
    Agnès l'embrassa à nouveau, plus longuement, et se serra contre lui. Les lèvres collées à son oreille, elle murmura :
    — Je ne t'ai jamais posé la question, parce que jusqu'ici, elle n'avait pas d'importance pour moi. Aujourd'hui, j'ai envie de savoir, et il me semble que j'en ai gagné le droit. Pourquoi as-tu renvoyé Isambour ? Pourquoi as-tu toujours refusé de la reprendre ?
    Parce qu'elle m'a noué l'aiguillette à l'aide de ses maléfices, voulut-il répondre. Ou bien : Je ne peux pas te le dire. Ou même encore : Parce que son haleine est fétide ; Parce qu'elle a la peau rêche ; Parce que c'est un homme ! N'importe quoi plutôt que ce qu'il s'entendit répondre :
    — Parce qu'elle n'est pas humaine. Et moi non plus. Pas complètement.
    Agnès tressaillit mais demeura muette, ne chercha pas à s'éloigner, si bien qu'il continua à parler. Lentement, d'abord : il soulevait le couvercle d'un chaudron bouillonnant et craignait, s'il allait trop vite, de laisser s'échapper d'un coup la vapeur et d'échauder sa compagne. Le chaudron bouillonnait depuis plus de vingt ans : il pouvait bouillonner encore un peu.
    Ce fut comme une citerne qui se vide après que le siphon est amorcé, puis ce fut comme une éponge humide qu'on presse et d'où l'eau surgit de toutes parts, et puis ce fut comme le déferlement d'un torrent qui vient de briser ses écluses.
    Avant de s'en décharger, Philippe n'avait pas pleinement conscience du poids que faisait

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