Le roi d'août
derrière lequel surgissait une deuxième troupe, plus importante que la première : la chevalerie anglaise, cette fois, au moins trois cents cavaliers vêtus de fer qui chargeaient en abaissant déjà leur lance, et Dieu savait combien de fantassins derrière. Les bannières aux léopards flottaient joyeusement au bout des hampes.
— C'est une embuscade ! hurla Henri Clément au moment exact où Philippe le comprenait, lui aussi. Déployez-vous !
Ils n'en eurent pas le temps : à peine avaient-ils abaissé la visière de leur heaume et commencé à jouer des éperons pour briser leur groupe compact que les premiers assaillants étaient sur eux. La plupart des chevaliers français, faute de pouvoir empoigner leur lance, se contentèrent de lever leur écu et de se préparer au choc. Plusieurs dizaines d'entre eux mordirent la poussière, certains pour s'y briser les os, certains pour y agoniser avec un pied de bon acier enfoncé dans la gorge ou entre les côtes.
Philippe sentit une lance voler en éclats contre son bouclier, tandis qu'une force monumentale cherchait à le projeter hors de sa selle. Il tint bon, les pieds collés aux étriers, et attendit que la course de son adversaire l'amenât à portée de sa masse pour la lui abattre sur l'épaule. Mal ajusté, le coup ne fit que frôler sa cible, et l'instant d'après, il était trop tard pour en asséner un deuxième.
Les chevaliers anglais, ayant transpercé comme un javelot la colonne française, firent volter leurs chevaux pour lancer un deuxième assaut. Les piétons qui les suivaient ne tarderaient pas à arriver au contact, de même que les cotereaux de Mercadier. Henri Clément, debout sur ses étriers, l'épée brandie, lançait des ordres que, dans l'affolement, nul n'entendait. Avant qu'une quelconque tactique de défense pût être adoptée, les différentes troupes de l'ennemi opérèrent leur jonction et ce fut la mêlée.
— Défends-toi, faux frère ! entendit soudain Philippe au milieu des hurlements et du fracas des armes.
Il n'eut nul besoin de blason pour savoir que le chevalier anglais arrivé à sa hauteur, l'épée haute, n'était autre que Richard : il eût reconnu n'importe où ce timbre acide et ce ton rageur. Une nouvelle fois, son bouclier levé juste à temps le protégea d'un coup violent.
— Mon père avait raison : tu n'es qu'un roitelet qu'on écrase à sa guise ! lança le Plantagenêt, méprisant, avant de parer à son tour.
Un cri de douleur étouffé lui échappa : aiguillonné par l'insulte, le Français avait frappé si fort que sa masse s'était presque incrustée dans l'écu de son adversaire, lui meurtrissant l'avant-bras. Richard levait à nouveau son épée quand un sergent à cheval combattant non loin de là, touché à mort, vida les étriers et entraîna sa monture dans sa chute. L'animal, blessé, affolé, s'effondra en hennissant entre les deux rois, dont les bêtes se cabrèrent. Le temps qu'ils parvinssent à les calmer, ils étaient trop éloignés l'un de l'autre pour continuer le duel, d'autant que chacun faisait face à de nouveaux assauts.
Une main se referma sur les rênes de Philippe, tandis qu'un crochet monté au bout d'une longue perche se plantait dans son épaule, par bonheur sans traverser son haubert. Conscient du danger terrible qu'il courait, le Capétien abattit sa masse à deux reprises, brisant la hampe du crochet avant que le cotereau qui la maniait ne pût s'arc-bouter et le déséquilibrer, puis fracassant le poignet de l'homme qui tentait d'immobiliser son cheval. Il piqua des deux afin de se dégager et d'étudier la situation.
Dire qu'elle n'était pas brillante eût été un euphémisme : l'effet de surprise avait largement compensé la supériorité numérique française initiale. Les chevaliers anglais n'avaient subi que des pertes négligeables alors que près d'un tiers des Français étaient à terre. Philippe fit la moue : après pareille douche froide, il était douteux que la tendance s'inversât. Il fallait donc rompre le combat, malgré la honte, et se replier vers Gisors tant que c'était possible ; les assaillants ne tarderaient pas à se former en tenaille pour couper toute retraite à leurs adversaires.
Philippe avisa Henri Clément qui se battait comme un beau diable contre un cavalier et deux fantassins. Il le rejoignit en quelques enjambées de sa monture et le débarrassa vivement de deux adversaires, lui permettant d'éliminer le
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