Le roi d'août
reine, puisque vous m'avez faite telle, et reine je mourrai. C'est une des raisons pour lesquelles je m'obstine. L'autre, c'est que je vous aime.
— Balivernes ! siffla le roi. Comment pourriez-vous m'aimer ? Nous nous sommes vus quelques heures en tout et pour tout, et je ne vous ai fait que du mal.
La jeune femme eut un sourire dépourvu de gaieté.
— C'est une question que je me suis posée également, admit-elle. Peut-être avez-vous raison : peut-être suis-je folle et ai-je le goût de la souffrance.
Philippe eut une moue dubitative.
— Quoi qu'il en soit, moi, je ne vous aime pas et ne vous aimerai jamais. Cette discussion a assez duré. Puisque vous ne voulez pas vous montrer raisonnable, nous allons nous donner la main en public, tout à l'heure, afin de satisfaire notre ami Octavien, mais ne comptez plus me revoir. (Il tourna les talons pour sortir, puis se ravisa.) Une dernière chose : je ne veux pas que vous m'espionniez. Si vous avez le moyen de franchir les murailles que je vous impose, allez où bon vous semble avec ma bénédiction, mais faites-moi le plaisir de me laisser en paix.
Isambour faillit lui demander comment il comptait l'obliger à obéir, mais il se dirigeait déjà vers la porte. Les dents serrées, elle contint son chagrin en se disant que s'ils ne s'étaient pas mis d'accord, ils avaient à tout le moins parlé calmement. Il y aurait d'autres occasions. La lutte serait longue, âpre, mais tant que la jeune femme demeurait en France, elle conservait une chance de l'emporter.
Le jour même, lorsqu'ils se furent bel et bien donné la main en public, Philippe déclara solennellement qu'il la reprenait pour femme jusqu'au jugement à venir. Sur quoi le cardinal Octavien leva l'Interdit.
La France et son roi allaient pouvoir respirer. La première n'en savait rien encore, mais le second, pressé de porter la nouvelle, sauta à cheval dès qu'il put prendre congé du légat et courut rejoindre Agnès.
La concubine était éloignée, certes, mais elle demeurait assez proche pour qu'on la visitât souvent. L'épouse légitime était tirée de prison, en effet, mais logeait dans un château isolé où l'on ne se présenterait jamais. La lettre de la loi, une fois de plus, était observée, mais non l'esprit. Philippe espérait bien que cela suffirait.
Il s'illusionnait.
« Quand nous avons donné des ordres, nous n'avons pas
demandé un semblant d'exécution mais une exécution bien réelle.
Ce n'est pas nous, c'est lui-même que le roi trompera s'il refuse à
la reine les honneurs qui lui sont dus »
Innocent III, Lettre au cardinal Octavien
3
Comme pour marquer d'une pierre blanche l'orée d'un nouveau siècle, Renaud de Dammartin regagna la cour au printemps de l'an 1201. Isolé dans sa rébellion depuis les traités signés par Baudouin de Flandre et Jean sans Terre, il céda aux premières propositions de paix du roi. Sans la moindre honte, il vint à Paris rendre à nouveau l'hommage-lige pour le comté de Boulogne. À cette occasion, et dans l'espoir de sceller une fois pour toutes leur amitié, Philippe fiança le fils qu'il avait eu d'Agnès à la fille de Renaud et d'Ide.
Le comte et le roi, distants durant la journée, tombèrent dans les bras l'un de l'autre le soir venu, quand le vin les eut égayés.
— Ne cesseras-tu donc jamais de me trahir ? interrogea Philippe, à demi sérieux.
Renaud avait bu plus que lui et même plus que de raison. Il lui fallait s'appuyer contre la muraille pour rester sur ses pieds.
— Ne cesseras-tu donc jamais de me pardonner ? renvoya-t-il d'une voix pâteuse en fixant son ami dans les yeux.
— Si c'est ce que tu cherches à savoir, écoute-moi bien : je t'ai pardonné aujourd'hui pour la dernière fois. (Le roi posa la main sur l'épaule de son interlocuteur.) Tu es ivre et moi aussi, alors je veux être sûr que tu comprennes bien ce que je te dis : je t'aime, Renaud, mais si tu te retournes encore contre moi, je t'abattrai comme n'importe quel autre ennemi. C'est clair ?
Le comte de Boulogne hésita un instant puis hocha la tête. Il devait se rappeler ces paroles de longues années.
Ce fut vers la fin mars que s'ouvrit à Soissons le procès en nullité du mariage royal. Suite à de nouvelles admonestations du pape à son légat, le roi était prévenu : il devrait en appliquer le verdict à la lettre. Si son union avec Isambour était déclarée licite, il lui faudrait renvoyer Agnès chez elle,
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