Le roi d'août
perspective qui l'emplissait d'angoisse.
Il avait donc rassemblé les juristes les plus éminents que comptait la cour, s'en remettant à leur habileté et à leur éloquence.
Dès l'ouverture des débats, après qu'il eut exposé à la cour sa demande, les envoyés du roi de Danemark se firent virulents. Après lui avoir arraché la promesse de les laisser quitter le royaume sains et saufs s'ils s'exprimaient librement, ils le traitèrent tout bonnement de parjure, produisant à l'appui de leurs propos l'accord signé avec Knut, par lequel Philippe s'engageait à traiter Isambour en reine dès son arrivée sur le sol français. Ils dénièrent en outre toute crédibilité au cardinal Octavien, qui présidait l'assemblée, en raison de sa complaisance envers la France.
Octavien, mis en cause, proposa de se récuser : un autre légat était de toute façon attendu dans les jours suivants. Les Danois, toutefois, choisirent de quitter le tribunal et de partir pour Rome plaider la cause d'Isambour auprès du pape.
Cette décision, prise dans la colère du moment, fit que la jeune reine se trouva une fois de plus seule contre une armée de spécialistes du droit acharnés à sa perte. Peu à peu, ses traits se creusèrent, ses yeux s'embuèrent, tandis qu'un sourire de plus en plus large étirait les lèvres de Philippe.
Le procès se poursuivit de longues journées. Plus il avançait, plus la justice de la cause d'Isambour devenait floue, plus les réclamations du roi semblaient légitimes. La jeune femme se voyait déjà divorcée pour de bon et contrainte de rentrer au Danemark en abandonnant sa fierté, quand se produisit un événement imprévu.
Un clerc que nul n'avait encore jamais vu, on l'apprit par la suite, demanda la parole et entreprit de plaider pour la reine d'une voix vibrante qui emplissait la salle des débats sans paraître poussée. Une puissance calme émanait de lui, forçait le respect, commandait l'attention.
Alors qu'il rappelait pour la centième fois les faits, d'une manière les éclairant d'un jour nouveau, bien plus favorable à Isambour, Philippe se demanda qui il pouvait bien être. Un Français, sans doute, car il était dépourvu d'accent. Probablement rentré de Terre Sainte depuis peu, à en juger par son teint hâlé et sa barbe noire à la mode arabe.
Le roi chercha le regard du frère Guérin, assis non loin de lui. L'Hospitalier eut un léger mouvement de tête pour signaler que, quoique très physionomiste et ayant rencontré naguère nombre de Croisés, il ne connaissait pas l'orateur.
Ce dernier poursuivait sa démonstration dans le silence général, soulignant l'hypocrisie du premier tribunal, mettant en lumière les astuces des juristes, réduisant à néant leurs arguments.
Philippe remarqua l'expression d'Isambour : elle fixait l'inconnu avec une joie et une confiance donnant à penser que, pour elle, il n'en était pas un. Mais dans ce cas, où l'avait-elle rencontré ? Y avait-il un traître parmi ceux qui la surveillaient ?
Puis il observa avec plus d'attention le mystérieux clerc barbu, et enfin, il le reconnut à son tour. Il ne l'avait vu qu'une fois, bien des années plus tôt, alors qu'il se trouvait en proie à la fièvre, mais il le reconnut sans l'ombre d'un doute. Cet homme-là n'était pas plus prêtre que lui, il n'avait aucun droit de témoigner à ce procès, d'opérer de tels ravages dans le cœur et l'opinion des juges.
Et Philippe ne pouvait pas le dénoncer.
— Ce qui s'est passé durant cette nuit de noces, continuait le souverain du peuple, seuls le roi et la reine le savent. Puisqu'il semble que ni l'un ni l'autre ne souhaite le révéler, nous devons respecter leur vœu, mais il est une chose que nous pouvons dire avec certitude…
Le Capétien n'entendit pas la suite : l'évidence venait de le frapper. C'était cet étrange personnage, à n'en pas douter, qui avait révélé sa nature à Isambour, puisqu'il intervenait à présent en sa faveur. Il n'avait pu passer sous silence les raisons pour lesquelles son époux l'avait chassée.
Elle savait. Si Philippe la poussait à bout, elle risquait de tout révéler… et de prouver ce qu'elle avançait en traversant une muraille dans le bureau du pape. Après tout, elle ne risquait guère la torture ou l'exécution : quelle geôle l'eût retenue ?
À l'ajournement des débats, les juges avaient quasiment pris leur décision. Le roi eût sans doute pu contre-attaquer durant les
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