Le roi d'août
mérites de la vie religieuse. Pour le reste, l'entourage de la reine, gardes et serviteurs, avait pour consigne de la traiter sans égards : on ne devait ni la frapper ni la négliger au point qu'elle tombât malade, mais vexations et rebuffades étaient encouragées.
Si d'aventure sa santé se dégradait, ordre était de la transporter aussitôt en un endroit où l'on pourrait la soigner efficacement : qu'elle mourût en prison eût été du plus mauvais effet. Philippe, toutefois, ne pensait pas que les choses en arriveraient là : lui-même était rarement malade et combattait la plupart des fièvres avec aisance ; or le pouvoir d'Isambour, plus pur que le sien, devait être plus puissant.
Bien sûr, il savait que la détention de son épouse n'en était pas vraiment une : s'il en avait douté, la voir se fondre dans la pierre alors qu'il s'apprêtait à la poignarder l'eût convaincu. Parce que l'essence diabolique de l'autre race lui semblait à présent douteuse, il avait d'ailleurs discerné une certaine beauté dans cette fusion – comme il y avait eu de la beauté en Lysamour, derrière l'horreur. Il n'en déplorait pas moins qu'elle fût possible : enfermer une fille des pierres constituait une tâche surhumaine. Pour empêcher Isambour de circuler à sa guise, il eût fallu lui construire une prison de bois – ce qu'il se voyait mal expliquer au conseil.
Il avait cependant compris qu'elle devait être nue pour user de son pouvoir, ce qui limitait singulièrement ses possibilités d'apparitions en public. Rien ne l'empêchait d'aller à son gré nager dans un étang ou se promener en forêt, mais jamais elle ne surgirait en pleine cérémonie ou au beau milieu d'un siège de place-forte. L'idée qu'elle risquait de le rejoindre dans l'intimité de sa chambre troublait un peu Philippe, mais il espérait l'avoir assez effrayée pour qu'elle s'en abstînt. Quoi qu'il en fût, il ne rappela pas ses massiers à son chevet et continua de dormir seul, comme il en avait pris l'habitude après l'exil d'Agnès à Poissy.
Agnès à qui il devait d'avoir conquis sa peur panique de la mort. L'angoisse avait disparu peu à peu depuis qu'il était convaincu de posséder une âme. Damnée, peut-être, mais cela ne comptait guère : affronter ses responsabilités, expier ses fautes, il l'acceptait volontiers. L'important était qu'il fût un homme, un homme comme les autres.
Le corollaire de cette loi, à savoir qu'Isambour était une femme comme les autres, ne lui échappait pas, mais il n'en avait cure : bien des femmes ne lui inspiraient que du dégoût ; celle-là en faisait partie, voilà tout.
Isambour, à dire vrai, ne souffrait pas de la faim : quand la nourriture qu'on lui servait était par trop chiche ou répugnante, une incursion nocturne dans les cuisines de la forteresse lui fournissait un repas à sa convenance. Ses vêtements, jamais renouvelés, étaient indignes d'une reine, mais on veillait à ce qu'elle eût suffisamment de fourrures pour ne pas prendre froid, si bien que seule sa fierté s'en trouvait blessée. Ce n'était pas qu'elle tînt à se parer : ses goûts la portaient à une simplicité de mise et à de modestes bijoux. L'intention insultante, toutefois, était intolérable.
Pour cette raison, elle continuait d'écrire au pape.
Deux trépas successifs – outre celui du brave abbé d'Aebelholt, des années auparavant – l'assuraient qu'elle ne devait plus attendre de secours que de Rome. L'archevêque de Reims, Guillaume aux Blanches Mains, à qui il arrivait de lui faire quelque faveur pour alléger sa conscience, avait rendu son âme à Dieu. Plus grave et plus douloureuse était la mort de Knut, le frère d'Isambour, qui n'avait jamais cessé d'intercéder pour elle. Le nouveau roi de Danemark, son cadet, n'était qu'un enfant lorsqu'elle était partie pour la France et, la connaissant à peine, s'intéressait bien moins à son sort.
D'Innocent III, elle n'attendait pas un miracle : elle avait trop espéré et trop déchanté pour croire qu'il réglerait le problème d'un coup de crosse magique. Sans le consentement du roi, rien ne se ferait jamais, elle en avait conscience. Les mises en garde papales seraient toutefois un aiguillon non négligeable pour conduire au dit consentement. Si elle désirait régner un jour, elle ne devait pas permettre qu'on l'oublie.
Quant à son époux, elle avait décidé pour un temps de ne pas chercher à le revoir. Leur
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