Le roi d'août
quelques bonnes
paroles, mais m'affligent d'entretiens injurieux et méchants […]
Je ne pourrais vous énumérer une à une les misères dont je souffre,
car il m'est refusé ce qui ne devrait être refusé à aucune femme
chrétienne, et il m'arrive ce qui ne devrait arriver à personne,
même de la condition la plus basse. »
Isambour de Danemark, lettre à Innocent II I
2
En avril de l'an 1202, la cour de France convoqua Jean sans Terre à Paris, afin qu'il y répondît de ses agissements en Poitou. Puisqu'il dédaigna de se présenter, il fut condamné par contumace à la confiscation de toutes les terres qu'il tenait du roi de France, soit l'ensemble de ses fiefs continentaux.
Jean avait lui-même forgé l'épée qui ne tarderait plus à le tailler en pièces : après s'être arrangé pour concilier en une espèce de coup de génie ses passions et la politique, il n'avait pu empêcher sa mesquinerie naturelle de tout gâcher.
Presque deux ans plus tôt, son vassal poitevin Hugues de Lusignan, comte de La Marche, l'avait invité à ses fiançailles avec Isabelle Taillefer, unique héritière du turbulent comte Adhémar d'Angoulême, dont cette union risquait de renforcer les velléités d'indépendance. Craignant une coalition potentielle susceptible de couper le Poitou de l'Aquitaine, Jean avait trouvé une solution idéale au problème dès qu'il avait posé les yeux sur Isabelle. Âgée de douze ans seulement mais d'une indéniable précocité, elle avait à ce point fasciné le roi d'Angleterre, amateur de chair fraîche, qu'il avait décidé de joindre l'utile à l'agréable. Éloignant le comte de La Marche sous prétexte d'une mission en Angleterre, il avait tout bonnement enlevé la fille, avec son entière coopération, et l'avait épousée avant de la faire couronner à Westminster.
Eût-il alors offert au fiancé frustré des compensations monétaires ou territoriales raisonnables, ainsi qu'il était d'usage en pareil cas, que l'indignation des barons poitevins se fût vite apaisée. Au contraire, ravi de son petit tour et jouissant enfin du pouvoir dont il avait rêvé sa vie entière, il avait raillé, ridiculisé – et maté dans le sang la rébellion subséquente.
Hugues de Lusignan en avait appelé au roi de France – lequel avait temporairement fait la sourde oreille : il était alors en plein cœur de son conflit avec le pape et n'envisageait pas une guerre dans l'immédiat. Plutôt que d'attaquer Jean ou même de le sermonner, il l'avait invité à Paris avec sa nouvelle épouse et avait fêté le couple sans épargner le faste. Le dernier des Plantagenêts s'en était rentré chez lui toute méfiance endormie – d'où sa surprise, quelques mois plus tard, de recevoir une citation à comparaître.
C'est qu'entre-temps, les choses avaient changé. Innocent III s'était apaisé, et la mort du comte de Champagne en Terre Sainte avait permis à Philippe d'en prendre les terres sous tutelle en attendant la majorité de l'héritier. L'accroissement aussi colossal que subit de ses ressources permettait au Capétien de lancer une campagne militaire avec de bonnes chances de l'emporter sur un rival dont les finances partaient à vau-l'eau. Il se rappela donc brusquement la plainte des seigneurs poitevins et prit les mesures qui s'imposaient.
À peine eût-il rendu sa sentence qu'il la mit en application. « Confisquer » les fiefs continentaux de Jean, cela signifiait les conquérir : on ne pouvait s'attendre à ce qu'il les cédât sans combattre. L'Anglais, cependant, ne voyant pas venir le coup et s’obstinant à refuser la négociation, s'était mis en mauvaise posture. Philippe avait le bon droit pour lui. L'arrêt rendu par la cour désamorçait d'avance l'appel à la paix que ne manquerait pas de lancer le pape : il n'était pas question de guerroyer mais de mettre au pas un vassal rebelle. De rétablir l'ordre, en quelque sorte.
Philippe s'enfonça en Normandie et prit coup sur coup plusieurs villes, dont Gournai, où il opéra sa jonction avec Arthur de Bretagne. Le duc, alors âgé de quinze ans, ne rêvait que gloire et conquêtes. S'il n'avait jamais connu son père, Geoffroy, emporté trop jeune pour laisser le souvenir de hauts faits, il avait choisi pour modèle le roi légendaire dont il portait le nom et pour héros son oncle Richard, dont il était décidé à égaler, voire à surpasser le prestige. Or, Richard, comme Geoffroy avant lui, avait été l'allié
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