Le roi d'août
du roi de France – et tant que s'était maintenue cette alliance, ils avaient été victorieux. Philippe, quant à lui, n'avait pas changé de politique en ce qui concernait les Plantagenêts : tant qu'il en restait deux à dresser l'un contre l'autre, il était tout prêt à embrasser le parti du plus faible contre le plus fort. Il reçut donc l'hommage d'Arthur pour la Bretagne, le Maine, le Poitou, la Touraine et l'Anjou, l'arma chevalier de ses propres mains, le fiança à sa fille Marie et l'envoya dans l'Ouest à la tête de deux cents chevaliers – tandis que lui-même allait mettre le siège devant Arques.
À quinze ans, déjà roi, le Capétien avait dû brider de raison son enthousiasme naturel. Arthur, en revanche, n'avait jamais gouverné, et c'était la première fois qu'il commandait effectivement une armée. Lorsqu'il apprit que sa grand-mère Aliénor se trouvait au château de Mirebeau, il ne put résister à la tentation du coup d'éclat que serait sa capture : dédaignant les conseils de prudence, il s'acharna sur une place-forte qui résista opiniâtrement.
Aliénor avait quitté Fontevrault pour se réfugier derrière les murailles de Poitiers, mais le jeune duc de Bretagne et ses alliés avaient marché si vite qu'elle s'était laissé surprendre en chemin. Jamais à court de ressources, cependant, elle envoya un messager à Jean sans Terre qui séjournait alors au Mans.
Avec un esprit de décision peu coutumier – et poussé par le sénéchal d'Anjou Guillaume des Roches, lequel flairait la bonne opération militaire –, Jean fit route vers Mirebeau à la tête d'une force importante. À son arrivée, le premier août, il cueillit comme dans une souricière des assaillants totalement pris au dépourvu. Arthur et les barons poitevins rebelles qui l'avaient rejoint furent capturés sans avoir le temps de se défendre.
Pour la première fois de son existence et l'une des dernières, ce fut en vainqueur incontesté que Jean d'Angleterre pénétra dans une ville.
Isambour, depuis le début du conflit, redoublait d'activité. Elle était consciente de l'importance des combats en cours pour le royaume de France, et rien de ce qui le touchait ne la laissait indifférente puisqu'elle le considérait comme sien. En outre, Philippe risquait chaque jour sa vie sur le champ de bataille : elle tremblait de savoir qu'un carreau d'arbalète bien placé pouvait trancher net le fil de son existence. S'il mourait, elle ne serait définitivement plus rien, sinon une reine douairière qu'on sortirait de sa prison, puisqu'elle ne dérangerait plus personne, mais à qui on interdirait de bon droit l'exercice du pouvoir. S'il mourait, elle perdrait aussi l'homme qu'elle aimait malgré tout et dont elle n'avait pas renoncé à se faire aimer. Elle n'aurait plus la moindre raison de vivre. À vingt-huit ans, elle estimait n'avoir pas assez joui de la vie pour y renoncer aussi vite.
Chaque soir, elle quittait donc sa cellule pour s'assurer que Philippe était encore entier et apprendre les dernières nouvelles. Au siège d'Arques, elle observait son époux sous sa tente, admirait sa rapidité d'analyse et sa sûreté de jugement lorsqu'il donnait ses ordres à ses capitaines. Parfois, il lui arrivait de le regarder dormir, longuement, prête à se laisser couler dans le sol s'il ouvrait les paupières. N'avoir qu'à tendre la main pour le toucher et ne pouvoir lui révéler sa présence était une torture subtile qu'elle s'imposait avec une sombre délectation.
Un jour, elle le trouva au lit avec une prostituée. Il ne faisait pas mystère de son goût pour les femmes, et la mort d'Agnès remontait à un an, aussi la chose n'avait-elle rien de bien surprenant, mais nul n'accepte de bonne grâce, en se sachant dédaigné, de voir l'objet de son amour entre d'autres bras, fussent-ils de ceux qu'on achète avec une poignée de deniers. Malheureuse, humiliée, Isambour s'enfuit dès qu'elle surprit la scène. Consciente que si elle rentrait à la forteresse d’Étampes, elle passerait la nuit en pleurs, incapable de dormir, à se lamenter entre deux prières, elle se contraignit à prendre une autre direction : celle du Mans. Les nouvelles des combats arrivaient aussi régulièrement à la cour du roi Jean, qu'elle visitait donc de temps à autre. Ce soir-là, elle souhaita ne pas trouver le souverain anglais engagé dans le même type d'activités que le français : elle n'éprouvait certes aucun amour
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