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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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moquait-elle ?
    — J'ai beaucoup de chagrin, affirma-t-elle, la main tendue vers lui. Si vous vouliez me permettre de…
    Le geste fut de trop. Il déclencha tout.
    Philippe se releva d'un bond et asséna à la Danoise deux gifles successives, puis une troisième, plus forte, qui la jeta à terre.
    — C'est toi qui l'as tuée, gronda-t-il. Et tu voudrais que je t'ouvre les bras ?
    Les yeux d'Isambour s'agrandirent lorsqu'il tira le court poignard qu'il portait à la ceinture. Elle lut dans son regard, au milieu de son visage ravagé de tics, qu'il allait la tuer et que rien de ce qu'elle pourrait dire ou faire ne parviendrait à l'apaiser. Comme il se jetait sur elle, la peur eut raison de la pudeur : la jeune femme arracha le voile qui la couvrait, roula sur elle-même pour s'en écarter et se laissa couler dans les dalles. La lame du poignard se brisa net en frappant la pierre à l'endroit exact qu'elle occupait l'instant d'avant.
    Philippe, emporté par son élan, s'étala de tout son long, s'éraflant cruellement la joue. La douleur physique et le choc chassèrent son aveuglement : il contempla la garde du poignard, dans sa main, réalisa ce qu'il avait failli faire et la jeta de toutes ses forces contre le mur. Se prenant la tête à deux mains, il poussa un hurlement venu du plus profond de ses entrailles, qui résonna longuement dans tout le château, au point que certaines âmes impressionnables se demandèrent s'il n'était pas possédé du démon.
    Lorsqu'il eut crié tout son soûl, lorsque sa voix se fut brisée dans un déchirement de gorge, lorsqu'il ne lui resta plus la moindre larme à verser, il alla s'allonger auprès d'Agnès, sans la toucher, et s'endormit en souhaitant mourir.
    Isambour, de retour dans la petite pièce à peine digne du nom de chambre qu'elle occupait à Étampes, laissa elle aussi libre cours à son désespoir. Un temps, elle avait cru pouvoir percer les défenses de Philippe, gagner au moins son amitié ou son estime, à défaut de son amour, mais les fondations élevées patiemment venaient d'être emportées par un raz-de-marée de souffrance.
    « O, mon Seigneur, vous voyez à vos pieds une jeune princesse
tremblante ! La couronne ne la séduit pas, c'est son époux qu'elle
réclame ; vous ne lui refuserez pas, car vous êtes la providence qui
distribue la justice sur la terre. »
    Agnès de Méranie, Lettre à Innocent II I

Quatrième partie
LA VICTOIRE
    « Mais peut-être vous étonnerez-vous du titre d'Auguste, que je
donne au roi en tête de mon ouvrage ; en voici la raison : les
écrivains donnaient ordinairement le nom d'Auguste (du verbe
augeo, auges) aux Césars qui avaient augmenté l'État. Philippe
mérite donc le titre d'Auguste, puisqu'il a augmenté aussi l'État. »
    Rigord, Gesta Philippi August i

I

1
    Le cri de douleur du roi de France s'entendit par-delà les frontières et fit vibrer jusqu'aux murs de Rome. Touché, Innocent voulut faire un geste pour complaire à l'amant blessé et légitima les deux enfants qu'il avait eus d'Agnès. Il s'abstint en outre pendant quelques mois de protester avec trop de vigueur contre l'emprisonnement renouvelé d'Isambour : tant qu'il porterait en lui le deuil de l'aimée, Philippe serait insensible à la raison ; le pape n'était pas trop détaché des affaires temporelles pour le comprendre.
    Le Capétien, de fait, quoique horrifié du meurtre qu'il avait failli commettre, possédait à présent une raison supplémentaire de haïr son épouse. Agnès était morte à cause d'elle, de son maudit entêtement.
    Bien plus tard, l'inanité de l'accusation lui apparaîtrait, et il admettrait même en avoir été conscient sur le moment, sans parvenir à faire taire sa colère et son chagrin. Il lui fallait un responsable : la Danoise en constituait un de choix.
    Il ne pouvait la faire assassiner : dans la chambre mortuaire, il avait connu un instant d'aveuglement, mais il n'aimait pas verser le sang ; en outre, le commanditaire de pareille lâcheté, sur l'identité duquel nul n'aurait le moindre doute, serait mis au ban de la Chrétienté.
    Plus que jamais soucieux de se débarrasser d'Isambour, cependant, il entreprit à nouveau d'en briser la résistance. Il fit endurcir ses conditions de détention, si bien qu'elle se retrouva dans un dénuement plus grand encore qu'à Cysoing. Il lui interdit les visites, sinon celles de ses propres envoyés, qui s'employaient à la raisonner, à lui vanter les

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