Le roi d'août
peut-être temps de révéler la part que vous avez prise à notre épopée outre-mer, ne croyez-vous pas ?
— À quoi bon, sire ? J'ai la seule récompense que je désire, croyez-le.
Guérin ne mentait pas. Les honneurs lui indifféraient. Seul comptait l'exercice du pouvoir.
— Si jamais vous changez d'avis, il vous sera facile de faire passer vos actes à la postérité, conclut le roi. J'ai cru comprendre que vous encouragiez mon chapelain, Guillaume le Breton, à écrire une chronique de mon règne pour remplacer celle que ce moine qui me traînait dans la boue a eu le front d'offrir naguère à mon fils ?
— Je ne crois pas que je changerai d'avis, sire, et Guillaume hésite encore à se lancer dans l'entreprise, j'en ai peur. Quant à Rigord, paix à son âme. J'ajouterai à sa décharge qu'il ne s'est permis de vous critiquer qu'au moment de votre querelle avec le Saint Père.
— Pour l'affaire d'Isambour, c'est exact, admit Philippe de bonne grâce. Ma foi, je dois reconnaître que vu de l'extérieur, j'y fais figure de barbare. Cela nuit à mon image, comme vous diriez si bien.
— En effet, sire, mais puisque votre décision en la matière est prise une fois pour toutes, il ne sert à rien d'y revenir. Permettez-moi de me retirer, à présent, je vous prie : j'ai des ordres à donner.
Ayant senti une interrogation réelle derrière la façade amusée du Capétien, Guérin préférait couper court à la discussion pour le laisser méditer plutôt que risquer de le braquer par une parole malheureuse. Sa méthode lente et mesurée porterait fruit au bout du compte, il en était persuadé.
Renaud de Dammartin, convoqué à la cour pour y répondre de ses agissements, y arriva en tenue de guerre, coiffé de son grand heaume qu'ornaient deux fanons de baleine. C'était une provocation, le refus préalable de toute concertation. Quoique Philippe tentât de préserver les deux partis autant que faire se pouvait sans léser l'évêque de Beauvais, le comte de Boulogne se déclara persécuté et humilié : il eut publiquement à l'adresse du roi des mots très durs qui eussent valu à d'autres un bannissement immédiat.
Point ne fut besoin de le bannir : rentré sur ses terres, il entreprit de les fortifier, ce qui était à tout le moins un acte de défiance envers son souverain. Sommé de couper court à ses préparatifs de guerre, il refusa de se soumettre, si bien que la mort dans l'âme, Philippe se résolut à marcher contre lui. Renaud, en dépit de la richesse de son comté, n'avait pas les moyens de résister à l'armée royale : déclarant abandonner son fief au prince Louis, il courut se réfugier chez son allié le comte de Bar-le-Duc, vassal d'Empire.
Comptait-il ainsi provoquer la discorde entre Louis et son père ? C'était peine perdue. En dépit de son épouse et de son entourage de jeunes chevaliers qui le poussaient à exiger davantage de pouvoir, le prince demeurait tout entier sous la coupe de Philippe qui ne lui avait jamais confié plus d'une once de responsabilité. Peu désireux de voir son fils se tourner contre lui tels les jeunes Plantagenêts contre Henri II, le roi avait omis de l'associer au trône comme c'était l'habitude dans la lignée. Non content de lui interdire ces tournois qu'il avait en horreur, il ne l'avait pas même armé chevalier avant sa vingtième année. Louis en était amer, parfois, mais s'il s'était d'ores et déjà forgé une réputation d'indomptabilité sur le champ de bataille, il répugnait aux affrontements moraux. En outre, il respectait son père, et sa certitude de régner après la mort de ce dernier lui permettait de prendre son mal en patience.
Renaud, quoi qu'il en fût, paraissait sorti de l'échiquier politique. Croire qu'il en resterait là était cependant bien mal le connaître – mais Guérin, de fait, ne le connaissait que fort peu. Quant à Philippe, il se sentait déjà bouleversé d'avoir dû sévir ainsi contre son ami d'enfance : son seul désir était de ne plus jamais entendre parler de lui.
Seule, Isambour continua parfois de s'informer sur lui, de son propre chef. L'individu l'intéressait : sa prestance et son charme ne pouvaient que séduire la femme en elle, bien qu'elle le sût moins galant en privé qu'en public, dès lors qu'il était parvenu à ses fins. S'il se conduisait parfois en barbare, il n'avait pas non plus la cruauté fondamentale d'un Jean sans Terre. La plupart de ses actes étaient
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