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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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accepté de travailler pour lui – c'est-à-dire pour vous : je n'ai pas besoin de vous rappeler que votre personne m'est chère ni que votre royaume est le mien.
    Le roi secoua la tête, souriant malgré lui.
    — Vous êtes déconcertante, admit-il. N'importe quelle autre m'aurait maudit. Beaucoup auraient même usé de leurs pouvoirs pour me nuire, non pour me servir. Après tout… (Il la regarda dans les yeux.) Je vous ai volé votre jeunesse. Je vous ai fait subir un sort indigne de vous… et même de moi, j'en ai peur. Autrefois, vous m'inspiriez de l'horreur ; aujourd'hui, c'est de la honte.
    En le disant, il se rendit compte que c'était pure vérité. Durant les dix dernières années, n'ayant pas revu son épouse, n'ayant entendu parler d'elle que très occasionnellement, il était presque parvenu à la chasser de ses pensées. Découvrir qu'elle, de son côté, n'avait un instant cessé de songer à lui, qu'elle avait œuvré dans l'ombre pour sa gloire, lui valait des remords tels qu'aucun de ses actes ne lui en avait jamais inspirés.
    — Ne vous faites pas de reproches, sire, dit Isambour. Vous en fais-je, moi ? C'est pourtant moi qui ai souffert, et ce d'autant plus que mes souffrances étaient dues à celui que j'aimais. Que j'aime encore.
    Philippe leva les bras au ciel, irrité.
    — Celui qu'elle aime ! soupira-t-il, prenant à témoin un interlocuteur invisible, avant de se retourner vers elle. En fait, je crois que vous êtes folle, oui. Vous savez pourtant qui je suis. J'ai rompu des serments, j'ai abandonné des alliés, j'ai traité avec des assassins, j'ai apporté le malheur à pratiquement tous mes proches. Et vous dites que vous m'aimez ?
    Isambour fît deux pas dans sa direction, impulsive. Il ne recula pas.
    — Vous n'êtes pas un saint, j'en ai conscience, admit-elle, mais le tableau n'est pas non plus aussi noir que vous voulez bien le peindre. Chaque fois que vous avez fait le mal, c'était pour le royaume. (Elle eut un sourire sans joie.) À mon arrivée en France, j'avais de grandes idées sur la manière dont il convenait de régner pour le bien de tous. Je les crois toujours honorables, mais elles ne tiennent aucun compte de la convoitise et de la fierté des puissants. À présent que je connais le monde, je sais qu'on ne règne pas par la gentillesse et la générosité. Pas seulement, en tout cas. Ce sera peut-être possible un jour, et à ce moment-là, il n'y aura peut-être même plus besoin de roi, mais pour en arriver là, il faut unifier le royaume. Il faut achever votre œuvre.
    Philippe eut envie de lui dire qu'elle venait d'exprimer l'essence de sa philosophie, qu'elle le comprenait mieux, même, que ne l'avait compris Agnès – moins passionnée de politique que de joies du foyer. Au lieu de quoi, cependant, il déclara :
    — Le mal que je vous ai fait, à vous, n'a pas profité au royaume.
    — J'étais là, Philippe, lui rappela-t-elle, employant son prénom pour la première fois. J'ai vu dans quel état vous mettait ma seule présence : vous ne pouviez pas agir autrement. Peut-être auriez-vous pu m'épargner les privations, mais cela n'a plus d'importance, à présent. De toute façon, j'ai moi aussi choisi mon rôle dans l'histoire : si je m'étais inclinée dès le début, je serais rentrée au Danemark et j'aurais mené une existence on ne peut plus normale ; il n'aurait pas manqué de nobles seigneurs pour accepter ma main – qui aurait osé douter de vous quand vous m'affirmiez encore vierge ?
    — Vous parvenez même à plaisanter sur votre sort ? s'étonna-t-il. Vous êtes une femme exceptionnelle.
    Il n'ajouta pas qu'elle serait une reine tout aussi exceptionnelle : ils le savaient tous deux et c'eût été de mauvais goût.
    — Mais pas assez pour être la vôtre, dit-elle, comme une constatation.
    — Vous savez bien pourquoi, soupira-t-il. (Une nouvelle fois, il trouva le courage de la regarder en face pour ajouter :) Ce soir, je le regrette.
    Le frère Guérin, depuis qu'il était au service du roi, n'en avait trahi qu'une seule fois la confiance : il avait répété certaines de ses paroles à Isambour, Forte de savoir Philippe sensible à sa beauté, elle s'avança plus près et lui posa la main sur le bras. Il frémit mais ne se déroba pas.
    — Je ne suis pas Lysamour, souffla-t-elle. Je suis de la même race qu'elle, mais c'est tout. Je ne suis pas plus Lysamour qu'Agnès n'était Ide de Boulogne. Moi, jamais

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