Le roi d'août
qu'à cela mais savait ne pas brûler les étapes. En revanche, il serait de bonne politique d'adoucir ses conditions de détention : cette preuve de bonne volonté impressionnerait favorablement Sa Sainteté. Voilà quatorze ans et plus qu'Isambour vous résiste, sire, elle y a perdu ses plus belles années : ne pensez-vous pas douteux qu'elle cède maintenant à la force ? Par la douceur, en revanche, nous la convaincrons peut-être de prendre le voile.
— Cela m'étonnerait, avoua Philippe. Cette femme est plus têtue qu'une mule. Toutefois, la suggestion est bonne, Guérin : si le pape croit ce changement prélude à une réconciliation, il me laissera en paix. Vous vous chargerez des démarches nécessaires : qu'Isambour demeure à Étampes mais qu'elle n'y manque de rien.
Il interrogea brièvement du regard ses autres conseillers afin de s'assurer qu'aucun n'avait d'objection, Même Barthélémy de Roye, grand rival de Guérin mais trop avisé et trop honnête pour le contredire lorsqu'il avait raison, n'en souleva aucune. La suggestion fut donc adoptée et l'on se préoccupa d'autre chose – à savoir une nouvelle affaire de succession flamande, le comte Baudouin ayant trouvé la mort en Terre Sainte peu auparavant. L'héritière, une petite fille nommée Jeanne, avait été confiée aux soins de son oncle, Philippe de Namur, régent du comté, avec lequel le roi de France négociait âprement pour qu'il la lui confiât en tutelle.
— Je me suis toujours demandé, je l'avoue, pour quelles raisons vous haïssez la reine Isambour, sire, déclara Guérin sans avoir l'air d'y toucher, puisque le sujet était dans l'air, lorsque son maître et lui demeurèrent seuls après le conseil.
— Je ne la hais pas, corrigea Philippe. Du moins je ne la hais plus. (Il soupira.) J'ai à vrai dire bien du mal à exprimer ce que je ressens pour elle. Il m'est arrivé de la maudire mais elle a gagné mon respect par sa volonté même. J'aurais dû songer plus tôt à soulager son épreuve. (Il hocha la tête, comme surpris de ses propres paroles.) De bien des manières, c'est une femme remarquable. Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre, voilà tout.
— J'ai pourtant ouï dire que quand vous l'avez vue pour la première fois, elle semblait vous plaire…
— Elle me plaisait énormément. Elle me plaît encore, si vous voulez le savoir – et je n'ai pas besoin de vous interdire de le répéter. Elle me plaît, mais elle ne peut pas être ma femme, Guérin. Je vous demande de ne pas chercher à en apprendre plus.
L'Hospitalier s'inclina. En savoir plus n'était pas sa préoccupation principale. En dire plus, oui, mais l'heure n'était pas venue.
En attendant, il accomplit les ordres du roi : Isambour, tirée de sa misérable cellule, fut installée dans une chambre spacieuse et meublée avec goût. On renouvela sa garde-robe et on lui servit désormais des repas préparés par le cuisinier du gouverneur de la forteresse. Son entourage acariâtre fut renvoyé, remplacé par des femmes d'humeur égale et de disposition compatissante.
On lui autorisa en outre les visites. Bien sûr, on ne manqua pas d'envoyer prêtres ou religieuses lui dépeindre les joies de la vie cloîtrée, mais elle les écoutait patiemment sans jamais céder à leurs instances – et ce avec d'autant moins de remords qu'elle avait à leur insu la bénédiction du clerc le plus influent de France.
Elle avait mené son enquête sur Guérin et les autres conseillers : Gautier le Jeune – le père était mort depuis deux ans –, Barthélémy de Roye, Guillaume de Garlande, Henri Clément, Guillaume des Barres… Certains lui avaient fait meilleure impression que d'autres, mais tous semblaient bel et bien dévoués au royaume – et plus encore à la personne du roi. Philippe avait su s'assurer leur entière loyauté.
Forte de cette conviction, Isambour reçut avec grand plaisir la visite suivante de l'Hospitalier et accepta le marché qu'il lui proposait – à la condition cependant qu'il ne lui demanderait jamais d'espionner Jean sans Terre, dont il arrivait encore à la reine de rêver et qu'elle ne supporterait pas de revoir. Elle fut vite rassurée : Jean était un ennemi ; on se doutait toujours plus ou moins de ce que pensaient ses ennemis ; il était bien plus instructif d'épier ses alliés.
Sa première mission l'emmena en Anjou, auprès du sénéchal Guillaume des Roches, que l'on soupçonnait de conspirer
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