Le roi d'août
l'Hospitalier se dirigeait vers la porte, il le rappela :) Quel est son nom ?
— Elle vous le révélera elle-même, sire. Vous la trouverez seule : je vais l'avertir de votre visite, mais je dois ensuite m'occuper de traquer mes collègues conseillers dans leur retraite afin de leur transmettre vos ordres.
Le roi n'avait pas l'habitude de frapper avant d'entrer chez Guérin, qu'il savait pouvoir déranger à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour les affaires de l'État. Cette fois encore, il poussa la porte sans s'annoncer.
Les appartements du deuxième personnage de France dénonçaient des habitudes de simplicité cléricales autant que guerrières : une table de travail, une bibliothèque, un lit, quelques sièges, des tentures d'Orient, ici et là, qui ne parvenaient pas à égayer la pièce.
En entendant le visiteur, la femme assise sur un escabeau, devant la cheminée où flambait une grosse bûche, eut un sursaut puis se leva toute droite, sans pour autant se retourner. La lueur des flammes plus que celle des chandelles révélait une silhouette mince quoique bien charpentée, sans conteste séduisante. Curieusement, l'inconnue ne portait pas de voile : ses longs cheveux blonds dénoués cascadaient sur ses épaules et dans son dos, contrastant avec l'écarlate de son bliaud. Ce détail, un instant, fit soupçonner à Philippe qu'elle était la maîtresse de Guérin, puis il chassa l'hypothèse avec dédain : jamais, depuis qu'ils se connaissaient, l'Hospitalier n'avait marqué le moindre intérêt pour les femmes – alors qu'en dépit des efforts du pape, nombre de clercs entretenaient encore des concubines. Une seconde possibilité se dessina alors : envisageait-elle de devenir la maîtresse du roi ?
— Dame, déclara-t-il, étonné qu'elle ne se retournât pas, j'ai tenu à venir moi-même vous remercier de vos services inappréciables. S'il est quoi que ce soit que vous désiriez et qu'il soit en mon pouvoir de vous accorder, parlez : vous serez exaucée.
Elle demeura muette quelques instants encore. Philippe, qui se tenait à une toise d'elle, entendait son souffle, de toute évidence contraint à une lenteur, à une profondeur calculées.
— Je vous délie sur l'heure de cette promesse faite à la légère, sire, dit-elle. Il ne serait pas loyal de ma part d'en profiter.
Puis elle se retourna enfin, mais il n'eut pas besoin de voir son visage pour la reconnaître. Sa voix, ce reste d'accent danois si caractéristique, ne pouvaient le tromper.
Sous la surprise, il se figea, les bras ballants. Tous deux demeurèrent ainsi, face à face, dans un silence que rompaient seulement le bruit de leurs respirations et les crépitements du feu. Isambour se mordait avec nervosité la lèvre inférieure, craignant un éclat de colère : quand Guérin lui avait annoncé que le moment de vérité était arrivé, elle avait connu la plus grande frayeur de son existence. Elle en tremblait encore.
Ce fut donc avec un soulagement mêlé de stupeur qu'elle vit Philippe éclater de rire. Il avait certes le sens de l'humour, on le séduisait sans peine d'un bon mot, mais elle n'eût pas cru que pareille farce pût le divertir.
— C'est incroyable ! s'exclama-t-il lorsque son hilarité lui laissa enfin le loisir de parler. Ma femme et mon meilleur ami se sont unis pour me tromper : la chose s'est déjà vue mais je gage que ce fut rarement sous cette forme. Ainsi, c'était vous depuis le début ? J'aurais dû le savoir : vous sembliez connaître les plans de nos adversaires presque avant qu'ils ne les établissent. Vous seule en aviez le pouvoir. Et pourtant, cette idée ne m'a pas effleuré.
— Ni le frère Guérin ni moi ne vous avons trompé, déclara Isambour sans tenir compte des dernières remarques. Nous avons simplement… omis de vous communiquer certains détails, de crainte de vous fâcher, mais nous avons toujours travaillé dans votre intérêt.
— Je sais, répliqua Philippe, soudain sérieux. Je sais aussi que vous n'avez pas ménagé votre peine et que votre jugement vous a permis de discerner ce que nous avions négligé. Je vous en suis reconnaissant, Isambour, croyez-le, mais… (Il s'interrompit, cherchant ses mots,) Je suppose que Guérin vous a promis que je vous reprendrais comme épouse si vous vous mettiez à son service ?
— Non. Il a promis d'intercéder en ma faveur, nullement de réussir. Mais même s'il n'avait rien promis du tout, j'aurais
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