Le roi d'août
à nouveau avec le Plantagenêt. Guérin ayant acheté la loyauté du gouverneur d'Étampes, Isambour pouvait à présent s'absenter autant qu'elle le désirait : il lui suffisait de prévenir qu'elle n'y était pour personne, et nul ne cherchait à violer sa retraite. Quelques pièces d'or judicieusement distribuées faisaient taire la curiosité des gardes qu'intriguait cette royale prisonnière refusant tout repas pendant des jours d'affilée et ne paraissant pas s'en porter plus mal.
Elle passa une semaine à Chinon, surveillant Guillaume des Roches et ses proches, prenant tous les risques afin d'épier leurs conversations et de consulter leurs documents personnels. Ce fut la tête basse qu'elle alla délivrer son rapport à Guérin : elle n'avait rien trouvé qui prouvât ou même suggérât la trahison du sénéchal.
À sa grande surprise, l'Hospitalier la félicita. Il l'avait reçue en ses appartements personnels, au palais de la Cité, où il laissait en permanence une tenue féminine complète pendue à une patère, contre un mur. Sa visiteuse pouvait ainsi s'habiller dès son arrivée et deviser avec lui sans crainte pour sa dignité.
— C'était une mise à l'épreuve, madame, expliqua-t-il. Je voulais mesurer votre capacité à vous introduire dans une noble cour et à en rapporter des renseignements. Je n'ai jamais douté de la loyauté de Guillaume, mais en vous envoyant là où il n'y avait rien à découvrir, j'étais sûr que vous n'épargneriez pas vos efforts et que vous fouilleriez partout…
— Les comptes de l'Anjou n'ont plus de secret pour moi, admit-elle avec ironie. Je n'ai pas refait toutes les opérations, mais ils semblent honnêtes.
— En fonction de ce que vous m'avez rapporté, et que bien sûr je savais déjà, je considère votre mission comme un succès absolu. Puisqu'en outre, vous n'avez pas jugé bon d'inventer quelque détail incriminant afin de ne pas rentrer bredouille, j'estime aussi pouvoir me fier à votre loyauté. La prochaine fois, je n'hésiterai donc pas à vous confier un enjeu important. Mais pas tout de suite : je ne veux pas vous épuiser.
— Je suis à votre disposition, répondit-elle simplement.
— Je me suis entretenu avec le roi à votre sujet, ajouta-t-il. Je suis plus que jamais convaincu qu'il y a de l'espoir. Il arrive à parler de vous sans se mettre en colère, ce qui est un grand progrès. Il va jusqu'à vous prêter des qualités.
— Vraiment ? s'étonna Isambour.
— À y bien réfléchir, en dehors de votre entêtement, que certes il fustige en des termes assez violents, il ne vous reproche même rien du tout.
La reine sourit.
— C'est ce qu'il ne me reproche pas en public qui fait toute la différence.
— Il n'est pas encore prêt, concéda Guérin. Mais dans quelque temps, je compte revenir à la charge. Fiez-vous à moi, madame : j'ai à cœur les intérêts de mes amis, particulièrement quand ils coïncident avec ceux de la France.
Isambour attendit de longs mois une nouvelle mission. En raison de l'absence de guerre et du calme politique relatif, bien peu de problèmes méritaient qu'on la dérangeât.
Lorsque l'Hospitalier fit de nouveau appel à elle, toutefois, ce fut pour la plonger de plain-pied dans le premier acte d'un tourbillon d'événements qui allait dresser contre le royaume une menace comme il en avait rarement connu.
En l'an 1209 de l'Incarnation du Seigneur, Otton de Brunswick fut enfin couronné empereur à Rome : son concurrent Philippe de Souabe avait été assassiné l'année précédente et aucun autre candidat n'avait réuni assez de suffrages pour s'opposer à lui.
En ce qui concernait la France, c'était un coup bas : son roi avait soutenu le Souabe jusqu'au bout puis tenté de le remplacer par le duc de Brabant. À présent que son pouvoir était incontesté, Otton ne tenterait-il pas de prendre sa revanche, d'autant que son oncle Jean le comblait de prévenances et lui apportait son aide monétaire ? Philippe, prévoyant une invasion, fit fortifier de nombreuses villes et places frontalières.
La même année, une autre inquiétude vint assombrir son horizon – et ce fut alors qu'Isambour intervint. Envoyée à Boulogne enquêter sur des rumeurs troublantes, elle en revint avec une certitude : Renaud de Dammartin, qui délaissait depuis quelque temps la cour capétienne, recevait régulièrement un dénommé Eustache le Moine, baron renégat à la solde de l'Angleterre. Il
Weitere Kostenlose Bücher