Le roi d'août
clergé, fût ainsi récompensé, cela n'avait rien de surprenant ; que l'Anglais, mécréant de toujours, eût fini par lasser la patience du Saint Père, cela se concevait ; mais le Germain, lui, avait toujours eu la faveur d'Innocent, qui l'avait sacré de ses propres mains : qu'avait-il donc fait pour encourir l'ire papale ?
Il s'était tout simplement comporté comme tous les autres empereurs avant lui, traitant l'ensemble des États italiens en pays conquis et allant jusqu'à empiéter sur le domaine du pontife. Ce dernier, qui s'était cru fort avisé de priver du trône la lignée des Hohenstaufen, se trouvait confronté à un suppléant plus arrogant que le candidat d'origine.
Il avait écrit au roi de France pour implorer son aide monétaire et militaire contre Otton – s'abstenant curieusement de toute remarque quant à Isambour, qu'il ne manquait sinon jamais d'évoquer dans ses épîtres. Philippe s'était récusé : il lui était impossible d'envoyer des chevaliers en Italie puisqu'il leur faudrait passer par la Provence, terre d'Empire. Que le pape délie d'abord les sujets d'Otton de leur serment envers lui, qu'il les autorise à élire un nouvel empereur, et alors, oui, la France interviendrait avec toutes ses forces afin de porter l'héritier légitime sur le trône. Quant à l'argent, Philippe avait affirmé qu'il n'en avait pas. En revanche, si le clergé français voulait payer, lui se portait volontaire pour réunir les dons.
Innocent n'était pas en position de s'offusquer. Il avait suivi le conseil, excommunié son ex-protégé et autorisé de nouvelles élections dans l'Empire.
Activement soutenu par les deniers français et la propagande des agents royaux, le jeune Frédéric Hohenstaufen, petit-fils de Barberousse, roi de Sicile en titre, franchit les Alpes et fut accueilli triomphalement dans le sud de la Germanie, tandis que son rival campait sur ses positions dans le Nord. Longeant ensuite le Rhin, il arriva sans encombre jusqu'en Lorraine, où Philippe lui avait donné rendez-vous à Vaucouleurs.
Il ne devait cependant pas y rencontrer le roi mais le prince Louis. Alors que la troupe royale n'était arrivée qu'à Châlons, elle fut rattrapée par un messager rapide venu de Paris : le petit Pierre venait d'être saisi d'une forte fièvre et les médecins désespéraient de le sauver. Pierre était le fils de cette bourgeoise d'Arras qui, comme prédit par Guérin. n'avait jamais quitté sa ville, où elle attendait désormais en vain son royal amant. L'enfant, en revanche, était élevé à la cour sous la tutelle du chapelain Guillaume le Breton.
Philippe avait perdu Isabelle et Agnès parce qu'il ne s'était pas trouvé auprès d'elles lorsqu'elles avaient eu besoin de lui : ayant résolu de ne pas laisser pareille chose se reproduire, il avait donné ordre qu'on le fasse prévenir d'urgence si l'un de ses proches tombait gravement malade.
Confiant ses pouvoirs à Louis, une fois n'était pas coutume, il rebroussa chemin en toute hâte : Frédéric ne tenait pas tant que cela à le rencontrer ; l'important était qu'on lui apportât la somme convenue pour payer les frais de son élection et qu'on signât avec lui le traité d'alliance contre Otton de Brunswick. Le reste n'était que détail.
Le Hohenstaufen fut d'ailleurs satisfait : un mois plus tard, il était élu empereur sous le nom de Frédéric II.
Guérin, quand le garçon tomba malade, analysa froidement la situation et conclut qu'elle pouvait servir la cause de la reine en épargnant un chagrin au roi : il enfourcha un cheval et galopa jusqu'à Étampes, où il se fit admettre dans les appartements d'Isambour.
— Filez ! lança-t-elle dégrafant sa ceinture, dès qu'elle sut de quoi il retournait. Je serai repartie avant que vous n'arriviez.
Il n'y avait d'Étampes à Paris qu'une dizaine de lieues : elle les franchit si vite que se rendre au palais lui demanda presque moins de temps que localiser la chambre où reposait Pierre.
L'enfant avait alors cinq ans. C'était un solide petit garçon joufflu, aux cheveux carotte et au visage taché de son. Enfoui sous une couette rebondie, trempé de sueur, rubicond, il n'en frissonnait pas moins comme s'il avait été nu dans la neige. Des marmonnements vaguement articulés lui échappaient parfois, une toux périodique l'agitait, mais de toute évidence, il n'était qu'à demi conscient.
Isambour fut soulagée de le découvrir ainsi : ignorant les
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