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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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limites de son pouvoir de guérison, elle avait craint qu'il souffrît de quelque mal étrange contre lequel elle se fût révélée impuissante. Ces symptômes-là, par bonheur, elle les connaissait bien et se savait capable de les annihiler en se jouant : bien souvent, l'hiver, au sein des couvents lui ayant servi de geôles, elle avait soigné sans qu'elles s'en doutent les religieuses qui en souffraient ; il lui suffisait de leur tenir la main et d'attendre pour agir qu'un prêtre vînt les bénir. Dans ces couvents-là, depuis lors, la foi en la miséricorde divine atteignait des sommets.
    Un seul détail compromettait son action : le petit Pierre n'était pas seul. La chasuble brune, le cheveu gris, l'œil noir plissé, abîmé par trop de lecture à la chandelle, le chapelain Guillaume veillait son élève. De temps à autre, il allait lui éponger le front, constatait que la fièvre n'avait pas diminué, poussait un long soupir et retournait à la Bible enluminée qui reposait sur un lutrin.
    Isambour, n'ayant sorti que brièvement la tête de la muraille, dans un angle sombre, se demanda comment procéder. Elle ne pouvait guère surgir devant le digne ecclésiastique telle une Vénus impudique : si le choc ne le tuait pas net, il pousserait des hauts cris et l'empêcherait d'approcher l'enfant. Il ne fallait pas non plus songer à se couvrir : à moins de dépouiller le lit, il n'y avait dans la pièce rien qui fût susceptible de protéger la pudeur de l'arrivante.
    La couche se fût-elle trouvée près d'un mur que le problème eût été résolu, mais elle n'appuyait à la paroi que son dosseret de chêne solide, qu'une fille des pierres pas plus qu'une humaine n'avait le pouvoir de traverser.
    Guillaume le Breton, lorsqu'il lisait, debout devant le lutrin, tournait presque le dos au malade. La reine plongea dans le sol pour refaire surface à côté du lit, choisissant l'endroit où le chapelain avait le moins de chances de l'apercevoir. Lentement, sans brusquerie, elle se redressa.
    Un souffle rauque, laborieux, filtrait entre les lèvres desséchées de Pierre, toujours inconscient. Isambour, émue comme toujours lorsqu'elle soignait, seule occasion en laquelle elle se sentait fidèle à ses rêves de jeunesse, glissa une main sous la couette et la referma sur un bras potelé, moite et frissonnant. L'enfant poussa un petit gémissement, tenta faiblement d'échapper à sa poigne, mais n'ouvrit pas les paupières.
    Elle fit appel au pouvoir.
    Cela ne prit qu'un instant. La fièvre était banale, le remède une formalité. Bientôt, le malade n'en fut plus un, son souffle redevint clair et la rougeur s'estompa sur son front.
    Ce fut alors que se retourna Guillaume. Sa bouche s'ouvrit avec un décollement de lèvres sonore, tandis que ses yeux s'écarquillaient. Isambour s'était redressée légèrement, si bien que le chapelain avait d'elle une fort bonne vue du sommet du crâne jusqu'à la taille.
    — Dieu vous bénisse ! dit-elle en se signant, peu soucieuse d'être prise pour un démon. L'enfant va bien. Il est guéri.
    Puis elle se laissa à nouveau glisser dans le sol, espérant agir assez vite pour donner l'impression de disparaître purement et simplement. L'incident était regrettable, mais ce qui comptait était que Pierre fût sauvé. Quant au précepteur, elle ne craignait guère qu'il la reconnût, dussent-ils être amenés à se revoir : s'il l'avait dévorée des yeux, elle avait remarqué qu'il ne fixait pas son visage mais un point situé légèrement plus bas. Il en serait quitte pour de longues méditations sur le sexe des anges.
    Guillaume le Breton, de fait, s'avéra extrêmement troublé. Ayant constaté que son élève paraissait bel et bien guéri, endormi paisiblement, il chargea un clerc subalterne de le veiller et s'en fut à la chapelle rendre grâce, implorer une illumination qui ne vint pas – et surtout attendre avec une impatience croissante le retour du frère Guérin. À lui seul, son protecteur et son supérieur, il oserait raconter ce qu'il avait vu.
    — Un ange, vous dites ? (L'Hospitalier prit l'air mi-intrigué mi-sceptique.) Et à quoi ressemblait-il, cet ange ?
    — À une femme aussi nue qu’Ève au jardin d’Éden, je dois le dire. Mais ce ne pouvait être qu'un ange, puisque le petit Pierre est guéri. La fièvre est tombée d'un coup, par miracle.
    Guérin hocha la tête, apparemment convaincu.
    — Remercions Dieu d'avoir envoyé sa servante

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