Le roi d'août
aurait plus d'échappatoire. Néanmoins, peut-être pouvait-il faire semblant de l'ignorer pour le moment.
— J'y réfléchirai, promit-il.
C'était tout réfléchi. Cela devait prendre encore plusieurs mois, car la crainte de passer pour une girouette l'empêchait de rappeler la reine sans une occasion de le faire en toute logique, mais quand l'occasion se présenta, il n'hésita pas.
« Ah ! si nous avions pénétré aussi bien que vous le caractère
d'Otton, il ne nous aurait pas trompé ! Ce fils impie persécute sa
mère : il étend même ses mains sur la Sicile, non content d'avoir
dépouillé de l'héritage paternel notre fils et pupille chéri [Frédéric].
Qui peut désormais avoir confiance en lui, puisqu'il ne nous tient
même pas parole à nous, le vicaire du Christ ? Nous vous parlons
à notre honte, car vous nous aviez bien dit de nous méfier de cet
homme. Mais nous nous consolons avec Dieu qui, lui-même, s'est
repenti d'avoir établi Saül roi d'Israël. »
Innocent III, lettre à Philippe August e
2
Ce fut la conquête de l'Angleterre.
Tandis qu'un calme relatif régnait en France, deux empereurs commençaient de se disputer un unique Empire, et Jean sans Terre, sur son île, achevait de se discréditer. Nombre de ses barons avaient pris contact avec Philippe pour l'informer qu'ils étaient prêts à se ranger sous sa bannière si jamais l'envie lui prenait de franchir la Manche. Llewelyn, un des plus grands chefs de clans du Pays de Galles, était allé jusqu'à signer un traité d'alliance avec la France, s'était d'ores et déjà révolté et avait entraîné derrière lui la plupart des chefs de la région. Les Gallois, s'ils se faisaient à l'occasion mercenaires dans leur armée, n'avaient jamais eu d'amour pour les Anglais.
En dépit de tout cela, Philippe ne se fût pas lancé dans une entreprise aussi hasardeuse sans le concours actif du pape.
La querelle qui opposait Jean et ce dernier ne datait pas de la veille. En 1206, Étienne Langton, candidat d'Innocent III, avait été élu à l'archevêché de Canterbury. Le Plantagenêt, mécontent qu'on lui eût imposé cet homme alors qu'il eût préféré un de ses protégés, avait refusé l'élection, provoquant d'abord la mise en Interdit de son domaine, l'année même, puis sa propre excommunication trois ans plus tard. Le roi anglais s'était obstiné contre toute raison : même si lui ne craignait ni Dieu ni l'Église, il eût dû constater que son attitude lui aliénait l'ensemble de son clergé et une grande partie de sa noblesse.
Il s'obstinait encore, au début de l'an 1213, quand le pape se résigna à le déposer.
Ce fut lors d'une assemblée des barons français réunie à Soissons, au mois de janvier, que trois prélats d'Angleterre, parmi lesquels l'archevêque de Canterbury privé de diocèse, annoncèrent la sentence. Au nom d'Innocent, ils appelèrent le roi de France à envahir les terres du souverain déchu et à les faire siennes pour les administrer dignement, selon les lois divines.
Philippe, dans ses rêves les plus fous, n'eût jamais espéré pareille aubaine : le pape était pour lui, les nobles anglais étaient pour lui, il n'avait qu'une mince langue de mer à traverser pour rebâtir à son profit l'empire d'Henri II.
Prudent, toujours, il ne s'engagea pas, argua que des questions plus urgentes requéraient son attention mais affirma qu'il allait très sérieusement envisager la proposition du saint Père. Cette déclaration suscita des sourires : pour qui le connaissait, sa décision ne faisait aucun doute et on l'attendait rapide.
Juste avant de clore les débats, il informa un auditoire médusé qu'à compter de ce jour, il reprenait auprès de lui Isambour de Danemark, à qui il rendait tous ses droits de reine et d'épouse.
Il y eut un instant de stupeur silencieuse puis une ovation. Le soir même, quand Isambour parut au souper, rougissante et ravie, superbe, pour prendre place au côté du roi dont elle partageait l'écuelle et le hanap, les barons attablés éclatèrent en vivats. À leurs yeux, le caractère politique de la réconciliation ne faisait aucun doute : un homme auquel le pape offrait un royaume ne pouvait défier la volonté de l'Église dans sa vie privée. Seuls, le roi, la reine et le frère Guérin connaissaient la vérité ; il leur plaisait qu'il en fût ainsi.
Après le souper, parce qu'il était homme de décision, parce qu'il avait pris soin de se griser
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