Le roi d'août
stupidement.
Elle lui prit le visage entre ses mains et l'embrassa.
— Je ne m'exposerai pas, assura-t-elle. Et tu ne me perdras pas. Je compte même que tu me retrouveras pour de bon.
— Qu'as-tu en tête ? demanda Philippe, soupçonneux.
— Je t'en parlerai plus tard, quand je serai sûre de moi. (Elle baissa les yeux.) Du moins, si le roi ne m'ordonne pas de parler immédiatement.
Il éclata de rire.
— Le roi t'a donné des ordres pendant vingt ans et tu ne lui as jamais obéi, alors il y renonce. Que veux-tu que je te rapporte d'Angleterre ? La tête de Jean ?
Isambour se récria, faussement choquée.
— Elle est trop vilaine. Plutôt la certitude qu'il n'y aura plus jamais de guerre entre les deux royaumes, puisqu'ils ne feront qu'un.
Les semaines qui suivirent, le roi tint quasiment conseil en permanence afin de mettre au point une stratégie. S'il était hors de question de refuser la conquête qui s'offrait, encore fallait-il l'entamer dans de bonnes conditions. Très vite, il admit que lui-même n'eût su franchir la Manche et se faire couronner à Westminster sans risque : l'exemple d'Henri II et de ses fils prouvait qu'il était impossible à un seul homme de gouverner à la fois l'Angleterre et de larges territoires continentaux en période de troubles. Nul ne pouvait être partout à la fois. Philippe proposa donc que Louis conduisît l'expédition, s'assurât de la personne de Jean et en ceignît la couronne.
— Mais, sire, protesta Barthélémy de Roye. Votre fils ne vient-il pas de se croiser pour partir au secours de messire de Montfort ?
Le roi haussa les épaules. Depuis plusieurs années, déjà, l'Église avait déclaré la guerre aux hérétiques albigeois, ceux qui se faisaient appeler les Parfaits et que soutenait le comte de Toulouse. Philippe avait toujours dédaigné d'y prendre part, estimant n'avoir rien à y gagner et n'entretenant par ailleurs aucune animosité à l'égard des Albigeois. De plus en plus, pour une excellente raison, il en venait à croire que les petites différences entre les êtres, d'opinion ou autres, ne méritaient pas la mort. Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! La formule pourrait bien s'appliquer un jour à d'autres que des Infidèles. Tous les gens d'Église n'avaient pas l'ouverture d'esprit du frère Guérin, surtout pas le pape avec sa passion de la guerre sainte.
— Louis attendra, décida le Capétien. Il aura tout le temps d'accomplir son vœu une fois roi d'Angleterre et sa présence dans le Sud n'en aura que plus de poids. En attendant, Montfort n'aura qu'à se débrouiller.
Simon de Montfort, qui menait la répression contre les Parfaits, n'était pas un homme selon son cœur, ne fût-ce que parce qu'il avait entraîné le prince dans cette aventure.
À Louis, on ne demanda pas son avis. L'idée de supplanter le Plantagenêt l'enthousiasmait à ce point, cependant, qu'il ne protesta pas et accepta le pacte très rude par lequel son père limitait ses pouvoirs. Il serait roi d'Angleterre en titre, mais ce serait le roi de France qui régnerait.
Lors d'une nouvelle assemblée, en avril, Philippe annonça ses intentions et demanda leur appui à ses vassaux pour l'expédition à venir. Tous se rallièrent à lui d'une même voix.
Tous sauf un.
Cette unique défection devait bouleverser les données du problème.
Philippe avait fini par obtenir du marquis de Namur la garde et la tutelle de Jeanne, l'héritière de Flandre, qu'il s'engageait à ne pas marier avant sa majorité. Plusieurs prétendants avaient été éconduits pour diverses raisons, jusqu'à ce qu'arrive la proposition de Ferrand de Portugal, fils du roi Sanche et neveu par alliance de Philippe d'Alsace, ex-comte de Flandre, parrain du roi de France.
Ferrand, dont la tante payait grassement le comté, avait épousé Jeanne au début de l'an 1212. Armé chevalier par le Capétien à cette occasion, il lui avait prêté l'hommage-lige sans savoir que, pendant cette multiple cérémonie parisienne, le prince Louis s'emparait des villes d'Aire et de Saint-Omer, arrachées à la France par Baudouin de Hainaut le Jeune lors du traité de Péronne – lequel se trouvait par là même réduit à néant. Que Louis eût agi sur l'ordre de Philippe ou au moins avec son accord – agissait-il jamais autrement ? – ne fit de doute pour personne, Ferrand en tête. Mis devant le fait accompli, cependant, le jeune comte ne put que s'incliner, sans
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