Le roi d'août
agréablement et parce que la proximité d'Isambour pendant le repas lui avait allumé un feu au creux des reins, Philippe alla la rejoindre dans sa chambre.
Cette fois, il n'en ressortit qu'au matin.
Ce ne fut cependant pas l'éblouissement qu'il espérait sans trop oser y croire.
Timides, hésitants, partageant trop de mauvais souvenirs pour se sentir à l'aise, les époux commencèrent par parler, d'abord debout puis assis côte à côte sur le lit à baldaquin bleu roi. Philippe, surtout, honteux de sa conduite passée, tenta de s'expliquer, raconta l'horreur qu'avait été pour lui aussi leur nuit de noces. Comme il semblait ne retenir ses larmes qu'à grand-peine, Isambour voulut lui éviter de les laisser couler : elle lui prit les mains. Impulsif, il la serra dans ses bras et l'embrassa comme il ne l'avait pas fait depuis presque vingt ans.
Ensuite, tout alla très vite : débordant d'un désir qui les rendait maladroits, leur faisait déchirer leurs vêtements, ils se déshabillèrent avec fébrilité et roulèrent sur la couche, enlacés ; caresses, baisers, soupirs se succédèrent dans une frénésie amoureuse trop longtemps contenue pour être réfrénée.
Cet enchantement dura jusqu'à ce que le roi, s'apprêtant enfin à pénétrer Isambour, commît l'erreur de se réjouir que tout allât aussi bien. La simple pensée que quelque chose pût tourner mal fit exploser en lui l'image de Lysamour, ses yeux bleus grands ouverts, menaçante, terrifiante. La reine gardait sagement les yeux fermés depuis leur premier baiser mais la précaution fut insuffisante : l'érection de Philippe disparut aussi vite qu'elle était venue.
Quoique trop maître de lui, désormais, pour réagir violemment, il poussa un long soupir et se laissa retomber au côté de son épouse.
— C'est sans espoir, déclara-t-il au bout d'un long silence qu'elle n'avait pas cherché à rompre. Ça n'a plus rien à voir avec toi ni avec le fait que tu ne sois pas humaine : j'ai envie de toi, tu t'en es rendu compte ; je pense même que je pourrai sans trop de mal apprendre à t'aimer… (Elle lui prit la main. Il se tourna vers elle et lui sourit.) J'ai peine à croire que je viens de dire cela, après tout ce que nous avons vécu, mais c'est la vérité. Seulement… à quoi bon ? Je ne puis te toucher sans penser à elle, et dès que je pense à elle, je redeviens un gamin terrifié, incapable de faire l'amour. Tu lui ressembles trop. (Il plissa les lèvres.) Non, tu ne lui ressembles pas du tout, mais…
Il soupira, incapable d'exprimer sa pensée plus clairement.
— Mais j'ai ses yeux, compléta Isambour. C'est le problème depuis toujours, ces maudits yeux, et j'imagine qu'il ne servirait à rien que je les arrache.
La lumière des chandelles créait d'étourdissantes volutes dorées sur les courbes de son corps laiteux. Elle se redressa, attrapa les couvertures qu'ils avaient rejetées au pied du lit et les remonta : la passion enfuie, le froid de janvier reprenait ses droits.
— Je la déteste, souffla-t-elle en appuyant la tête sur la poitrine de Philippe.
Il leva la main pour lui caresser les cheveux.
— Moi aussi, répondit-il. Je la déteste d'avoir fait ce qu'elle a fait à un garçon qui n'était coupable de rien, sinon d'être le descendant de son aïeul. Mais en même temps, aujourd'hui, je comprends sa colère : mon cher ancêtre Hugues s'est servi d'elle comme d'une putain, il lui a volé son fils et il a voulu la tuer. Elle a eu le tort d'étendre sa fureur aux descendants de son ennemi, mais j'imagine que chez ceux d'entre vous qui vivent des siècles, la rancune est plus tenace que chez les humains. Elle a dû se sentir terriblement frustrée quand Hugues a expiré sans qu'elle se soit vengée : je me rappelle ce que j'ai ressenti à la mort de Richard.
Isambour lui déposa un baiser léger sur la poitrine.
— Tu serais capable de lui pardonner ? interrogea-t-elle.
— Je ne sais pas. Je ne crois pas. Mais de ne plus la haïr tout à fait, oui, sans doute.
Elle eut un demi-sourire.
— Va conquérir l'Angleterre, dit-elle. Je sais ce que j'ai à faire pendant ce temps-là.
Il la saisit aux épaules, la renversa en arrière et la regarda dans les yeux.
— Je ne veux plus que tu t'exposes, déclara-t-il, impérieux. Je l'ai signifié à Guérin : plus question de t'envoyer espionner qui que ce soit. Je ne t'ai pas retrouvée après tout ce temps pour te perdre
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