Le roi d'août
seigneurs, de quelque parti qu'ils fussent, profitaient de la confusion pour vider des querelles personnelles, tel le duc de Brabant – nouveau gendre du Capétien – contre l'évêque de Liège.
En bref, jusqu'au milieu du printemps 1214, la Flandre connut une des périodes les plus noires et les plus meurtrières de son histoire. Il en résulta dans le peuple un ressentiment, bien sûr tourné vers l'envahisseur français, tel que des milliers de bourgeois, d'ouvriers ou de paysans se rangèrent sans qu'on dût les y contraindre sous la bannière du comte Ferrand. Ce dernier devenait du même coup celui des chefs de la coalition à conduire l'armée la plus importante, si bien que son prestige en était rehaussé. « La Flandre deviendra la France ou la France deviendra la Flandre », avait déclaré Philippe, un jour de colère, au début du conflit, en comptant que la première hypothèse prévaudrait. Ferrand souscrivait à la prédiction en comptant que ce serait la seconde. Dans le partage que les alliés s'étaient fait à l'avance des terres de l'adversaire, c'était lui qui se voyait attribuer Paris et Île-de-France, en sus de l'Artois. Roi de France et de Flandre, voilà qui sonnait diablement bien à ses oreilles.
Renaud de Dammartin, s'il n'apportait guère de troupes et demeurait d'un rang inférieur à celui de ses comparses, s'était tout de même promu au rang de chef par son énergie. Sans lui, probablement rien ne se fût produit. Sa haine pour Philippe l'avait enflammé, poussé à chevaucher des centaines de lieues durant pour négocier avec les uns ou les autres. À cet homme qui s'emportait aisément, le ressentiment avait conféré des torrents de patience et de diplomatie qui, ajoutés à l'argent du Plantagenêt, lui avaient permis de nouer des alliances multiples. Pour prix de ses services, il s'était réservé le Vermandois et le duché de Guines, lesquels seraient intégrés à l'Empire.
Otton de Brunswick, lui, annexerait Champagne, Franche-Comté et Bourgogne, mais tous les fiefs conquis par les coalisés dépendraient également de sa suzeraineté, ce qui rendrait presque à l'Empire ses frontières du temps de Charlemagne. Pour lui, cependant, l'enjeu était bien plus important qu'une conquête : s'il écrasait la France, et à travers elle l'autorité romaine, il acquerrait un tel avantage sur son rival Frédéric qu'il n'aurait aucun mal à l'éclipser, à redevenir seul et unique empereur.
S'il perdait, il n'aurait qu'à renoncer au trône, mais il n'envisageait pas la défaite : le plan paraissait infaillible, la proie sans défense.
Jean, pour cela, n'avait pas ménagé ses deniers. Financier de l'opération, grâce aux sommes colossales qu'il extorquait entre autres au clergé anglais, malgré ses serments de fidélité au pape, il devait y gagner le retour de ses fiefs continentaux et par-dessus tout la fin d'un rival trop coriace et entêté. Son royaume était en lambeaux, ses barons à deux doigts de se liguer contre lui, mais s'il l'emportait, cela n'aurait plus d'importance : il se dresserait au-dessus des insoumis, plus fort que jamais. Lui qu'on appelait, il ne l'ignorait pas, « Cœur de Poupée » ou « Molle Épée », lui qu'on disait le plus faible et le plus incapable des Plantagenêts, il lui plaisait d'être celui qui détruirait l'homme ayant défié tous les autres.
Puisque l'on s'équipait à ses frais et que les mercenaires qu'il payait constituaient une bonne part de l'armée coalisée, on ne pouvait guère refuser d'en passer par ses vues quant à la stratégie, si bien qu'il fut le véritable maître d'œuvre de la campagne. Il décida ses alliés à attaquer par la Flandre tandis que seul, il soulèverait le Poitou et marcherait vers Paris.
Le plan n'était nullement stupide. Les seigneurs poitevins, toujours vacillants dans leurs allégeances, avaient déjà été gagnés par des dons généreux : quand Jean débarquerait, ils se rangeraient derrière lui sans rechigner. Dès lors, Philippe, dont l'armée était déjà moins nombreuse que celle qui se massait au Nord, serait obligé de diviser ses forces s'il voulait répondre aux deux assauts conjugués.
Toute la subtilité, toute la force du projet tenait en ce simple mot : conjugués. C'en était aussi la principale faiblesse.
Le Plantagenêt avait plus de terrain à couvrir que les autres et un travail préalable à accomplir, aussi s'embarqua-t-il en avance et arriva-t-il
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