Le roi d'août
sursauta et eut un rire amusé.
— C'est toi, sa femme, qui dis cela ? Alors que tu te prétends Chrétienne ?
— J'ai l'habitude de le partager. Si je dois le faire une dernière fois pour que ce soit à jamais inutile, qu'il en soit ainsi – et je crois que Dieu ne m'en voudra pas. S'il vainc assez sa peur pour coucher avec toi, Philippe n'aura plus de problème avec moi, j'en suis persuadée, puisqu'il nous confond dans ses craintes.
Lysamour prit une profonde inspiration.
— Très bien. Ça ne m'amuse pas mais ça me semble plus ou moins approprié : la dernière fois que j'ai fait cela, c'était avec lui et c'était moi qui le violais. Il faudra bien choisir la date, cela dit : je ne veux plus tomber enceinte de lui ; si je suis libérée de ma condamnation, ce ne sera pas pour élever un enfant, du moins pas tout de suite, ce sera pour m'amuser.
— Quant à cela, nous verrons. De toute façon, il va me falloir longtemps pour le convaincre. La première fois que j'aborderai le sujet, je pense qu'il ne me laissera même pas parler. Peut-être les deux ou trois premières fois. Cependant, il est emporté, pas stupide : il finira par m'entendre, et ce jour-là, je reviendrai te voir.
— Reviens avant si le cœur t'en dit, lança Lysamour, trop spontanée pour que cette permission ne fût pas aussi une prière. (Elle sourit.) Puisque quelqu'un peut me rendre visite à sa guise, j'ai envie d'en profiter…
Et pourquoi pas ? se demanda la reine. Peut-être serait-il agréable d'avoir comme confidente quelqu'un qui ne fréquentait pas la même société qu'elle. Bien qu'elles fussent trop différentes pour comprendre vraiment leurs aspirations mutuelles et devenir amies, la fille des rivières ne lui déplaisait pas. Elle désirait en outre s'en assurer la collaboration.
— J'essaierai de me libérer de temps en temps, promit-elle. À présent, je sais où te trouver.
Elle quitta Lysamour peu après. Un silence gêné s'était installé, comme pour signifier aux deux femmes que cette première rencontre avait assez duré : elles avaient besoin de réfléchir, d'assimiler ce qu'elles avaient appris.
Avant de se séparer, elles s'embrassèrent.
En regagnant sa chambre du château de Compiègne, Isambour se sentait d'excellente humeur : non seulement la confrontation s'était déroulée mieux qu'elle n'eût osé le rêver, mais encore la nuit était-elle assez jeune pour lui permettre de dormir un peu. Elle devait récupérer ses forces afin d'exercer toute sa volonté au service de la rude tâche qui l'attendait : convaincre Philippe.
« Grande ire et grand courroux eut à son cœur le roi de France pour
l'apostole [le pape] qui lui avait fermé la route de l'Angleterre. »
Histoire des Ducs de Normandie et des Rois d'Angleterre
III
1
Le frère Guérin avait de l'humour, il le prouva en Flandre : au sortir de la ville de Steenworde, que les Français appelaient Estanfort, comme l'étoffe, et qu'ils venaient d'incendier, il se retourna vers les maisons en proie aux flammes et s'exclama à l'adresse de ses compagnons :
— Vîtes-vous jamais estanfort mieux teint en écarlate, messeigneurs ?
Les chevaliers présents s'esclaffèrent. Le mot fit le tour de l'armée, et l'on s'en amusa beaucoup à la veillée. On en rit également, s'il fallait en croire les rumeurs, dans le camp ennemi : Renaud de Dammartin ne tarissait pas d'éloges sur l'esprit de l'Hospitalier, disait-on.
Les seuls à ne pas rire, finalement, ce furent les habitants d'Estanfort. Certains parce qu'ils étaient morts, les autres parce que, curieusement, ils n'avaient pas le cœur à rire en voyant brûler leurs logis. La fumée qui leur piquait les yeux, sans doute, les empêchait de saisir la plaisanterie.
Ils furent nombreux, cette année-là, à ne pas comprendre le sens de la comédie qu'on leur jouait. En Flandre ou en Artois, l'armée flamande et l'armée française dévastaient tout sur leur passage, pillaient, tuaient, brûlaient, sans autre souci apparent que de semer la destruction. Pour Philippe, il s'agissait autant de répression que de conquête. Quant à Ferrand, qu'épaulaient deniers et mercenaires anglais, il lui appartenait d'occuper l'adversaire tandis que les forces coalisées se rassemblaient pour une attaque en masse. Dépêchés par Jean sans Terre, son demi-frère Guillaume Longue-Épée, comte de Salisbury, ainsi que Renaud causaient d'effroyables ravages dans la région. D'autres
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