Le roi d'août
à La Rochelle au mois de février. Dès cet instant, il poursuivit sa campagne de séduction des barons poitevins, et il lui fallut de longues semaines pour réunir une armée à sa convenance. Quand elle fut enfin prête, il s'avisa qu'une autre armée marchait à sa rencontre.
Lorsque le frère Guérin lui dévoila les activités du roi d'Angleterre, Philippe ressentit un frisson déplaisant : l'impression d'être pris en tenaille lui mordait le ventre.
— Il n'achètera pas Guillaume des Roches, prédit-il. Sa première tâche sera donc de conquérir l'Anjou. On ne peut abandonner le sénéchal : s'il fléchit, plus rien n'empêchera Jean de chevaucher vers Paris. Mais dégarnir la frontière de Flandre me fait peur. Si au moins nous savions où en sont les préparatifs de l'empereur et des autres, nous pourrions…
— Oh, mais nous le savons parfaitement, sire, interrompit l'Hospitalier, souriant. Ils ne sont pas prêts. Otton s'est installé à Aix-la-Chapelle, où il attend des renforts. Le comte de Flandre n'a pas terminé ses recrutements. Le comte de Boulogne poursuit ses pillages en Artois, mais ce n'est qu'une mouche sur les naseaux d'un chameau, si vous me permettez cette comparaison osée. Ils ne pourront tenter d'assaut concerté avant des mois.
Ils se trouvaient sous le pavillon qu'occupait Philippe au milieu du campement de son armée, dans la plaine flamande. Isambour, comme par hasard, était venue rejoindre son époux ce soir-là et assistait à l'entretien en silence, se chauffant ostensiblement les mains devant le brasero.
— Voilà qui nous laisserait le temps d'intervenir dans l'Ouest, admit le roi. Vous êtes sûr de vos informations ?
— Totalement, sire, répondit Guérin. Je dois d'ailleurs y ajouter une triste nouvelle : votre gendre, le duc de Brabant, vient de se laisser gagner à la cause de l'empereur.
Philippe fit la grimace.
— Je n'en suis pas autrement… (Il laissa sa phrase en suspens, posant un œil soupçonneux sur son compagnon.) Quand cela est-il arrivé ?
— Le traité a été signé hier au soir.
— Puis-je vous demander, en ce cas, comment il se fait que vous en soyez déjà averti ?
L'Hospitalier ouvrit la bouche pour répondre puis la referma, conscient de s'être pris au piège.
— Très bien, sire : je vous ai désobéi, soupira Isambour.
— Guérin ! gronda le roi.
— Guérin n'a rien à se reprocher, continua-t-elle. Je suis seule en cause. Sans qu'il me demande rien, je suis allée me rendre compte de ce que préparait l'ennemi, et ensuite, je le lui ai raconté. Il n'allait tout de même pas se boucher les oreilles pour ne pas m'entendre.
Philippe leva les bras au ciel.
— Je veux bien ne pas me mettre en colère, madame, mais de grâce ! épargnez-moi ce genre de fable. Vous savez comme moi que ce n'est qu'un faux-semblant. Si Guérin avait voulu m'être vraiment fidèle, il serait venu me rapporter vos agissements afin que je vous en fasse reproche.
— J'ai péché par omission, admit l'Hospitalier, mais je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il est très difficile de s'opposer à la volonté de madame Isambour.
La Danoise s'approcha de son époux et lui posa sur le poignet une main brûlante d'avoir été exposée aux braises.
— Je ne vous en ai pas parlé pour ne pas vous inquiéter, dit-elle, mais je n'ai jamais cessé d'épier nos ennemis et je ne cesserai pas avant que nous ne soyons écrasés ou victorieux, quoi que vous tentiez pour m'en empêcher. Je suis votre femme, la souveraine de ce pays, et cette guerre est aussi la mienne. (Elle se radoucit un peu.) Je prends bien moins de risques que vous n'en prenez sur un champ de bataille, Philippe, et quoique je frémisse chaque fois que vous enfilez votre haubert, je ne vous empêche pas d'aller vous battre, car je sais que tel est votre devoir.
Guérin la félicita intérieurement de cet argument qui parut porter : l'instant d'avant, il se demandait s'il n'allait pas perdre la faveur royale pour avoir agi dans l'intérêt du royaume.
— Au combat, mes chevaliers me serrent de tellement près que j'ai peine à approcher l'ennemi, de toute façon, dit Philippe avec un demi-sourire. Je n'ai jamais été Richard, mais à les voir, on croirait que je suis Jean sans Terre…
— Si vous étiez Jean, ils ne vous protégeraient pas tant, remarqua Isambour. Leur en voulez-vous donc, ou à moi, de vous aimer ?
Il lui prit le visage entre ses
Weitere Kostenlose Bücher