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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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temps en temps, j'avais envie de parler. J'avais tout bonnement envie qu'on me voie, qu'on me fasse sentir que j'existe. Aujourd'hui, je pourrais aussi bien être morte : quand mes anciennes connaissances m'aperçoivent, elles m'ignorent et se dépêchent de passer leur chemin. Sinon, elles partageraient mon sort, naturellement ; j'ai constaté qu'aucune ne m'aimait assez pour ça. (Lysamour eut un demi-sourire qui masquait mal son amertume.) J'imagine que je n'avais pas grand-chose d'aimable, mais ça fait quand même mal. Tu ne sais pas ce que c'est, toi, la solitude.
    Isambour poussa une exclamation indignée.
    — Bien sûr que si. J'y ai goûté pendant vingt ans. Et moi, je n'avais rien fait du tout. J'ai payé pour toi. Parce que j'avais le malheur d'être ta sœur de race et d'avoir les mêmes yeux que toi. J'ai passé vingt ans en prison, à ne pouvoir observer l'homme que j'aimais qu'à la dérobée, tapie dans une muraille, à le surprendre entre d'autres bras, alors ne viens pas me dire que j'ignore ce qu'est la solitude, s'il te plaît !
    Lysamour baissa la tête.
    — Excuse-moi, souffla-t-elle. J'admets que c'était une bêtise. Pourquoi ne t'es-tu pas enfuie ?
    — Je ne pourrais pas te l'expliquer, répondit la reine, plus calme. C'est un raisonnement trop humain.
    La fille des rivières releva les yeux et posa sur elle un regard dépourvu d'agressivité.
    — Mais si tu as connu ça, toi aussi, tu dois d'autant mieux me comprendre. J'en ai assez d'être seule. Je veux recommencer à vivre. Pas comme avant ma condamnation : comme avant Hugues, avant que ma vie ne devienne qu'un gigantesque désir de vengeance. (Elle soupira.) Je n'en ai pas fait grand-chose, pendant toutes ces années, même quand je n'étais pas encore marquée : j'étais trop obsédée par l'homme qui m'avait pris mon enfant, je ne songeais qu'à l'éventrer de mes mains.
    — Lui et ses descendants, intervint Isambour.
    — Oui. C'était injuste, je l'ai compris. Je le savais déjà à l'époque, je crois, mais je ne voulais pas l'admettre. Je pense que pendant un certain temps, j'ai perdu la raison. Je regrette…
    — Tu as pardonné ?
    — À Hugues ? Jamais ! (Lysamour eût un rire bref.) S'il y a une vie après la mort, comme le croient les humains, j'espère que ses crimes lui ont valu l'Enfer et que ma malédiction l'y poursuit. En revanche, j'ai admis que me venger sur les autres ne m'apporterait aucun soulagement. La haine et l'amertume ne m'ont pas quittée, mais je suis décidée à les laisser derrière moi, parce que sinon, je mourrai triste et confite dans le fiel sans jamais avoir été heureuse. Et j'ai envie de l'être. C'est même pis que cela : j'ai envie de rendre d'autres gens heureux, parce que je crois qu'alors, ils feront tout leur possible pour me rendre heureuse, moi. C'est banal et évident, ce que je dis, mais je n'y avais jamais pensé avant – et je préfère le dire avant toi : oui, c'est regrettable.
    — La solitude semble t'avoir rendue philosophe, constata Isambour.
    — La solitude et Haisia. Il a dû te parler d'elle. Au début, je lui en voulais terriblement : c'est elle qui m'a dénoncée au roi, qui lui a permis d'intervenir à temps. Depuis, je la chéris d'avoir agi ainsi : si j'avais tué le petit prince, mon châtiment serait sans doute perpétuel, et je ne parle pas de mes remords. Quoi qu'il en soit, c'est la seule personne qui ait demandé et obtenu la permission de me rendre visite – tous les trois ans, environ. La première fois, j'ai cru qu'elle venait rire de moi, mais non : elle m'a dit qu'il arrivait aux gens de faire des erreurs et que si je regrettais les miennes, elle m'offrait son amitié. Je suppose qu'elle agissait en accord avec le roi mais il ne lui aurait pas demandé cette démarche si elle n'avait pas souhaité l'accomplir. Avec elle, je me suis épanchée librement, j'ai réfléchi… (Elle sourit.) C'est Haisia qui t'a porté mon message, incidemment ; elle m'a dit qu'elle ne s'était pas laissé voir.
    — Elle devait se méfier de moi. (La reine avança d'un pas et tendit une main ouverte qui fut prise après un instant d'hésitation.) Nous pouvons peut-être nous entraider. Si j'intercède personnellement en ta faveur auprès du roi, je pense qu'il acceptera de mettre fin à ton calvaire, ou au moins d'en diminuer la durée.
    — Pourquoi ferais-tu une chose pareille ? s'étonna Lysamour.
    — Ce ne sera pas gratuit. Ce sera

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