Le roi d'août
point que l'on vous conte des histoires ?
« En attendant que la vigueur te revienne, si tu veux bien, je vais te conter une histoire. Une histoire vraie. Je suis sûre qu'elle t'intéressera. »
Le roi fut pris d'un irrépressible frisson au souvenir qui montait en lui.
— Ah çà, non ! J'ai horreur des histoires, affirma-t-il. Je les exècre !
« La Roïne n'a pas fait ke cortoise,
Ki me reprist, ele et ses fieus, li Rois.
Encoir ne soit ma parole franchoise,
Si la puet on bien entendre en franchois ;
Ne chil ne sont bien apris ne cortois
S'il m'ont repris se j'ai dit mos d'Artois,
Car je ne fui pas norris a Pontoise. »
(La reine ne s'est pas montrée courtoise, elle qui m'a fait des
reproches, elle et aussi son fils, le roi. Bien que ma langue ne soit
pas française, on peut bien la comprendre quand on parle français ;
et ils ne sont guère polis ni courtois ceux qui m'ont reproché
mon parler d'Artois, car, moi, je n'ai pas été élevé à Pontoise.)
Conon de Béthune
4
— Baudouin est bien plus habile qu'il n'y paraît au premier abord, sire, avait assuré le comte de Flandre au sortir du banquet. Il fait mine de tergiverser pour obtenir plus, mais il finira par décider en notre faveur, je vous en réponds.
Quelque temps plus tard, accompagné du connétable de Clermont, il était parti en ambassade à la cour de son beau-frère, bien décidé à gagner la partie. De fait, peu après, un messager portait à Paris l'information qu'espérait le souverain : le comte de Hainaut rompait son serment envers Henri de Troyes et accordait au roi des Français la main de sa fille Isabelle. Craignant sans doute que le versatile Baudouin ne changeât à nouveau d'avis, le Flamand avait décidé d'emmener sur ses propres terres la jeune fiancée dès la fin des tractations, afin que le mariage eût lieu sans tarder.
Philippe, aussitôt, était parti pour Amiens, autre fief de son parrain, où il attendait avec impatience des nouvelles de ce dernier.
On était en milieu de matinée. Avril touchait à son terme, mais le printemps n'avait pas encore pris le pas sur l'hiver, si bien que la grand-salle du château demeurait glaciale. Pour cette raison, et aussi parce qu'il n'avait envie de voir personne, le roi s'était fait servir son déjeuner dans sa chambre – qu'il n'avait pas quittée depuis. En chemise, les épaules couvertes d'un épais manteau doublé de petit-gris, il s'était installé sur un escabeau, devant la cheminée où crépitait un feu revigorant. Les coudes sur les genoux, le visage entre les mains, il contemplait les flammes.
Deux personnes occupaient ses pensées agitées, toutes deux du sexe féminin : sa mère et sa future épouse.
Avec la première, la rupture était consommée, comme avec tout le clan champenois. Que s'était-il passé ? Une indiscrétion avait-elle dévoilé le projet matrimonial sur le point d'aboutir, ou bien Adèle et ses frères l'avaient-ils deviné ? À moins qu'ils ne se fussent tout bonnement lassés de voir leur influence décroître au profit de Philippe d'Alsace ? Toujours est-il que, les uns après les autres, ils avaient quitté la cour, Guillaume pour son diocèse, Henri et Thibaut pour leurs comtés – alors même que les fonctions de sénéchal du second eussent dû le retenir auprès du jeune roi –, la reine mère pour son douaire.
Apprenant qu'elle le fortifiait en secret, Philippe avait compris qu'une rébellion était imminente. D'accord avec ses conseillers, il l'avait donc fait saisir, interdisant de surcroît à Adèle d'écrire aux membres de sa famille. En réaction, cette femme énergique avait couru se placer sous la protection du comte de Blois, chez qui elle se trouvait encore.
Son fils en était plus préoccupé qu'attristé. Il n'avait jamais eu beaucoup d'affection pour elle, même tout enfant : pareille en cela à la plupart des nobles dames, elle avait laissé à des nourrices le soin de sa progéniture. En outre, trop préoccupée d'intrigues, elle n'avait jamais disposé d'assez de temps pour voir Philippe, si bien qu'il n'avait reçu d'elle aucune tendresse. Encore moins que de son père, qu'occupaient pourtant bien d'autres soucis.
Non, la brouille présente ne suscitait ni tristesse ni remord – probablement de part et d'autre. En revanche, elle ne laissait pas d'être inquiétante. Par son chancelier Hugues du Puiset, qui conservait nombre de relations outre-Manche, étant fils de l'évêque de
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