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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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qui s'exprimait en langue d'Oc, interprétait une chanson composée par Bernard de Ventadour, un des protégés d'Aliénor d'Aquitaine, la mère des deux femmes. On ne recevait pas couramment de troubadours à la cour de France : depuis le divorce d'Aliénor et de Louis VII, toutes choses venues du Sud y étaient considérées avec une méfiance frôlant l'hostilité. En l'occurrence, toutefois, quelqu'un avait dû juger délicat d'offrir cette surprise aux comtesses qui, on ne l'ignorait pas, avaient hérité de leur mère le goût de la culture méridionale. En outre, on affirmait couramment que le fameux Bernard avait été l'amant de sa protectrice après le remariage de cette dernière avec Henri Plantagenêt – et tout ce qui pouvait faire rire de l'Anglais était bien vu des Français.
    Au bout de trois chansons, dont une de cinq cents vers au moins qui contait une épopée – et à laquelle, hormis Marie et Alix, nul ne comprît goutte –, le jongleur voulut se retirer. Il en fut empêché par Conon de Béthune, un de ses admirateurs du jour les plus enthousiastes, qui bondit spontanément par-dessus la table pour le rejoindre. Après lui avoir donné sa bourse, le cousin du comte de Hainaut le convainquit sans grand mal de lui prêter son instrument.
    — Avec votre permission, seigneurs et gentes dames, je vais à mon tour avoir l'honneur de vous divertir, lança-t-il à la cantonade.
    Le petit ricanement que s'autorisa alors la reine mère laissa présager la catastrophe.
    Ce n'était pas que Conon eût une vilaine voix ni qu'il jouât sans talent du psaltérion. En ces deux matières, il était même plutôt mieux loti que son prédécesseur. Ce n'était pas non plus que ses chansons, de sa propre composition, fussent inférieures à celles du troubadour Bernard. Son problème était bien plus trivial : Artésien de naissance, il employait la langue telle qu'elle se parlait dans sa région, ce qui avait de quoi offenser des oreilles françaises, particulièrement si ces oreilles étaient au départ mal disposées envers l'offenseur.
    — Mais c'est une véritable cacophonie ! s'exclama Adèle au beau milieu de la chanson, assez fort pour que la moitié de la salle, y compris Conon, l'entendît. Non, vraiment, on jurerait que ces prétendus poètes du Nord ne sont que des manants incultes.
    La remarque déclencha des rires dans le parti champenois, dont celui, tonitruant, du gros Thibaut de Blois. La comtesse Marie elle-même, pourtant séduite par la musique du beau trouvère, auquel elle devait d'ailleurs ensuite présenter ses excuses, ne put s'empêcher de pouffer, gagnée par l'humeur de ses voisins. Aux autres tables, quelques partisans du clan et quelques imbéciles qui croyaient bien faire suivirent l'exemple des grands, tandis qu'aux moqueries répondait l'indignation des Hennuyers et des Flamands.
    Philippe, indifférent à la dispute, arborait néanmoins un large sourire : pour le plaisir d'une vexation mesquine, sa mère venait de le servir : insulter Conon de Béthune, c'était insulter Baudouin de Hainaut.
    L'artiste, que plus personne n'écoutait, mit un terme abrupt à sa chanson par deux notes dissonantes. Rouge d'une colère contenue, abandonnant le psaltérion sur l'escabeau, il s'avança vers le roi.
    — Puisque ma poésie n'a pas l'heur de vous plaire, sire, dit-il sans regarder la reine mère, je ne vous l'infligerai pas plus longtemps. Souffrez que je me retire.
    Puis il tourna les talons et quitta la salle dans le brouhaha général.
    — Messeigneurs ! Mesdames ! s'écria Philippe en se levant, alors qu'on commençait à s'apostropher autour de lui. Cessez cette vaine querelle, je vous prie, elle est indigne de vous ! (Comme l'injonction portait ses fruits, il se rassit et s'adressa à un Baudouin visiblement blessé.) Vous direz à votre cousin que sa poésie ne m'a pas déplu, seigneur comte, du moins pas plus que ne peut me déplaire n'importe quelle poésie. Je souriais, c'est exact, mais pour d'autres raisons, et ne me moquais nullement.
    — Soyez remercié de ces paroles, sire, répondit le Hennuyer. Elles mettront un peu de baume au cœur de ce pauvre Conon comme elles en mettent au mien, (Il se contraignit à sourire et, preuve de sa volonté d'oublier l'incident, à tenter de reprendre une conversation anodine.) C'est donc vrai, ce que l'on dit ? Que vous n'avez aucun goût pour les trouvères. Pas même pour les chansons de gestes. N'aimez-vous donc

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