Le roi d'août
Durham, Philippe savait qu'Adèle et Thibaut de Blois avaient envoyé une ambassade à Henri II. Il ignorait la teneur exacte de leur requête mais elle ne pouvait constituer qu'un appel à l'aide. Quelle forme cette aide prendrait-elle si elle était accordée par le Plantagenêt ? Voilà une question à laquelle il n'avait pas de réponse et qui le minait.
Pas autant, toutefois, que la perspective d'épouser Isabelle de Hainaut. Cette union allait entériner officiellement sa rupture avec la maison de Champagne, mais ce n'était pas pour cela qu'elle l'effrayait.
Qui disait mariage disait rapports conjugaux.
Depuis le mois d'août, Philippe n'avait pas touché une femme. Il n'eût pourtant pas manqué de servantes pour acquiescer à ses désirs s'il les avait manifestés. En arpentant les rues de son cher Paris, qui plus est, il avait lu dans les yeux de bien des jeunes et jolies bourgeoises qu'elles ne se fussent pas refusées non plus – et même à la cour, quelques nobles dames ne l'eussent sans doute pas repoussé. Pourtant, il n'avait rien demandé à personne. Pire, il avait chassé sans ménagement Jehanne, son initiatrice, lorsque, le voyant triste, elle s'était mis en tête de le consoler à sa manière.
La simple idée de se retrouver au lit avec une femme le terrifiait. Chaque fois qu'il en rencontrait une dont la figure l'agréait, elle prenait aussitôt le visage de Lysamour. Chaque fois que ses pensées s'orientaient vers la gaudriole – compte tenu de son âge et de ses dispositions, ce n'était pas rare –, il revoyait le monstre. Il avait beau choisir, en dépit de ses goûts et de la mode du temps, ses imaginaires partenaires grandes, brunes, fortement charpentées, elles se métamorphosaient dans l'instant en petites blondes aux formes fines. Leurs yeux, qu'il voulait noirs, gris ou marron, devenaient bleus. Entièrement bleus. C'était Lysamour qui se déshabillait pour lui, Lysamour qui l'embrassait, le caressait, qui lui faisait à nouveau tout ce qu'elle lui avait fait le jour maudit de leur rencontre. Son sexe, alors, se recroquevillait dans ses braies et cessait de lui communiquer la moindre sensation.
Même la nuit, le soulagement lui était refusé. Alors que depuis l'âge de douze ans, il lui était régulièrement arrivé de souiller ses draps pendant son sommeil, ce dont il s'était un peu repenti et beaucoup réjoui, il n'avait désormais pour tous rêves érotiques que des cauchemars hideux qui lui laissaient le corps trempé de sueur, secoué de frissons, et l'esprit agité des plus sombres pensées où se mêlaient la peur, la frustration et la honte.
Le beau souverain, vraiment, qu'avaient là les Français ! Et cela juste au moment où la légitimité des Capétiens avait le plus besoin d'être revalorisée. Hugues Capet – à l'évocation de son ancêtre, le garçon ne pouvait s'empêcher de grimacer – s'était substitué aux Carolingiens sur le trône. Quoique formulée tardivement dans l'abbaye du Cap-Hornu, à laquelle le rusé duc des Francs avait fait restituer les reliques de saint Valéry, une prophétie promettait le trône à ses descendants jusqu'à la septième génération – désormais atteinte. Hugues, affirmait-on, avait gagné ce droit par sa piété et sa fidélité aux commandements de l’Église. Philippe ne savait trop s'il devait en rire ou en pleurer. Ce qu'il savait, en revanche, c'était que sur ses épaules à lui reposaient tous les espoirs de sa lignée. Par ses actes, par ses prouesses, il devait s'imposer comme un nouveau Charlemagne et démontrer que ceux qui viendraient après lui détiendraient légitimement le pouvoir en raison de leurs mérites. Charlemagne, après tout, ne descendait pas de Clovis, mais nul n'eût osé mettre en doute ses droits à la couronne.
Toutefois, pour assurer la position de ses héritiers, encore fallait-il qu'on fût capable d'en engendrer. Un roi sans lignée, un roi impuissant, n'était d'aucune utilité. Il n'était rien. Pas même un homme.
Alors, Isabelle de Hainaut…
Bien sûr, le problème ne se poserait pas dès l'abord – ce n'était encore qu'une enfant –, mais un jour, elle partagerait la couche de Philippe, et ce jour-là, il devrait l'honorer comme un mari honore son épouse, afin que porte fruit l'union de leurs deux semences (4) . S'il n'y parvenait pas, il lui semblait qu'il en mourrait d'humiliation.
Trop absorbé, cherchant à déchiffrer dans les flammes dansantes
Weitere Kostenlose Bücher