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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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d'autres, devenu petit à petit, par son habileté, le maître d'un vaste domaine s'étendant de l’Écosse aux Pyrénées, on disait qu'il était un véritable char humain tirant tout derrière lui, qu'appartenir à sa maison revenait à connaître les flammes de l'Enfer. Sa femme, ses maîtresses, ses enfants, ses vassaux en avaient tous un jour fait l'expérience à leurs dépens. Tous le craignaient, même ceux qui l'aimaient – et ceux-là étaient rares.
    Le nouveau petit roi de France, se disait-il, devait le craindre en cet instant plus que tout autre, puisqu'il ne tenait qu'à lui de l'écraser comme un insecte.
    Mais Henri n'était pas venu en Normandie pour écraser. Il était venu, au contraire, pour réconcilier, et il ne refranchirait pas la Manche que tous les partis en présence ou presque ne s'estiment satisfaits.
    Une guerre était la dernière chose qu'il voulût. Quoiqu'il eût tempéré les ambitions de ses fils, il craignait fort que ces derniers ne se tinssent pas tranquilles très longtemps, aiguillonnés par leur mère – laquelle œuvrait désormais contre son époux avec la même considérable ardeur mise naguère à son service. Si Henri le Jeune, Richard et Geoffroy se révoltaient à nouveau, ensemble ou séparément, il aurait besoin de toutes ses forces pour leur résister. Richard, en particulier, lui causait de l'inquiétude : aussi tête brûlée que les deux autres, il était bien meilleur diplomate et stratège ; en outre, ses titres de duc d'Aquitaine et de comte de Poitiers lui permettaient de lever des troupes considérables…
    Assis sous l'orme, le dos appuyé contre le large tronc, les yeux mi-clos, le roi d'Angleterre songeait que le destin l'avait bien mal traité dans sa descendance. De tous ses fils, seul Jean ne lui avait jamais causé de souci, en partie parce qu'il n'avait que quatorze ans, en partie parce qu'il ne possédait pas le courage et la détermination de ses frères, mais surtout parce que ce fils-là l'aimait réellement et qu'il était payé de retour. Si Richard était le préféré d'Aliénor, Jean était sans conteste celui d'Henri, que jamais il ne se résoudrait à trahir. C'était là une des rares consolations du père accablé.
    — Les Français, sire ! annonça un soldat de l'escorte, le bras tendu vers l'horizon où venait d'apparaître une petite troupe de cavaliers, simple série de points noirs contre le bleu du ciel.
    Le Plantagenêt sortit de sa rêverie mélancolique. Le moment était venu de rassembler toutes ses facultés.
    Philippe de France, comme Jean, n'avait pas quinze ans, mais Henri le soupçonnait d'être d'une autre trempe : déjà, lorsqu'il l'avait rencontré enfant, ce garçon-là avait montré tous les signes d'un esprit vif et d'une grande volonté. Il disposait par ailleurs de conseillers avisés, rompus à tous les mécanismes du pouvoir et de la négociation. Le berner serait difficile, voire impossible, aussi la bonne volonté serait-elle en ce jour la meilleure arme.
    L'Angevin demeura assis jusqu'à ce que les silhouettes des arrivants fussent assez différentiées pour qu'il reconnût ceux qui allaient en tête. Le jeune souverain, bien sûr, mais aussi le comte de Flandre et celui de Hainaut. Tous trois, comme lui, avaient délaissé le haubert pour une vêture plus pacifique, afin de montrer leur volonté de conciliation ; aucun ne portait d'arme plus menaçante qu'un décoratif poignard à la ceinture. Les chevaliers et hommes d'armes complétant les deux troupes, cependant, rappelaient par leur équipement guerrier qu'il ne s'agissait pas là d'une simple promenade et qu'à tout moment, un mot de trop ou une divergence d'opinion pouvaient faire de la conférence le point de départ d'un conflit.
    Tout allait bien se passer, se répéta Henri en se mettant lentement sur ses pieds. Quittant l'ombre du grand orme, il s'avança pour accueillir les cavaliers.
    La reine Adèle et ses frères, décidément, l'avaient placé dans une position bien inconfortable. Il ne pouvait totalement les décevoir : la maison de Champagne était trop puissante pour qu'il s'en fît une ennemie jurée. D'un autre côté, il ne pouvait non plus leur donner satisfaction de la manière qu'ils souhaitaient : s'en prendre à la France, désormais, c'était aussi s'en prendre à Baudouin de Hainaut ; s'en prendre à Baudouin, c'était mécontenter l'empereur Frédéric Barberousse, son suzerain ; et mécontenter l'empereur

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