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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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Champenois n'étaient pas là, évidemment, mais ils devaient avoir des partisans dans l'abbatiale, parce que l'assistance est vite devenue presque incontrôlable. Un moment, j'ai bien cru que nous n'en sortirions pas vivants.
    — Ces manants ont osé tirer les armes contre leur roi ? Et dans une église, encore ?
    — Non. Si tel avait été le cas, il y aurait eu des représailles. Mais ils cherchaient à se rapprocher du chœur, ils poussaient toujours plus, et ils entraînaient avec eux les braves gens des villages alentours, venus nous acclamer. Isabelle et moi étions agenouillés devant l'autel, en train de recevoir l'onction, donc acculés. Je revois ma petite épouse, ce jour-là : livide, terrifiée par tous ces gens qui grondaient, qui tapaient du pied, qui cherchaient à nous atteindre. Nos chevaliers avaient formé une haie derrière nous, pour nous protéger, mais c'est pourtant l'un d'eux qui a failli nous perdre. Il contraignait la foule à reculer en faisant de grands moulinets avec une baguette : à un moment, il s'est trouvé repoussé en arrière, son instrument a heurté le lustre qui éclairait l'autel, et trois lampes ont volé en éclats. Isabelle et moi avons été inondés d'huile. Si les mèches ne s'étaient pas éteintes, nous ne serions plus de ce monde.
    — Dieu n'aurait pas permis que pareil drame se produise dans un de ses sanctuaires, affirma Richard.
    Philippe retint une moue peu convaincue. Il voulait croire que son compagnon avait raison, mais la possibilité d'un miracle en sa faveur lui paraissait toujours douteuse. Peut-être avait-il bénéficié de la piété et de l'innocence de sa femme.
    — Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas eu le moindre mal, reprit-il. D'aucuns ont même vu dans cet incident un bon présage. Parce que nous n'avons pas brûlé vifs, j'imagine. Enfin… Tout cela n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est qu'à partir de là, ma mère et mes oncles ont su que j'entendais me passer d'eux totalement, y compris de l'archevêque de Reims, s'ils m'y contraignaient. Ils ont donc renouvelé leur appel à ton père.
    — Qui s'est empressé de débarquer en Normandie, je m'en souviens, enchaîna le comte de Poitiers. Ce jour-là, tu as dû te sentir bien isolé.
    — Je l'admets. Si Henri avait décidé de me faire la guerre, je n'aurais pu que succomber. J'avais pourtant décidé de prendre les devants en envahissant ses terres d'Auvergne – mon beau-père m'avait procuré assez de troupes pour cela – mais en définitive, l'expédition a été inutile : Baudouin et mon parrain de Flandre nous ont ménagé une rencontre à Gisors.
    — Près de l'orme ? ironisa Richard.
    — Je ne veux plus qu'on me parle de cet orme, renvoya Philippe sans sourire.
    « [L'incident des trois lampes est] un signe de l'abondance des
dons que l'Esprit-Saint versait sur eux du haut du ciel. […] Car
nous pensons que Dieu opéra ce miracle pour étendre au loin la
gloire et le nom du monarque et pour répandre le bruit de sa
renommée par toute la terre. »
    Rigord, Gesta Philippi Augusti

2
    L'orme était gigantesque, au point qu'il fallait neuf hommes pour en étreindre le tronc. Il avait vu s'écouler plusieurs siècles et, quoique le roi Henri l'eût fait cercler de fer par sécurité, il semblait de taille à en voir s'écouler bien d'autres. Pourtant, il lui restait moins de dix ans à vivre – ce que nul ne soupçonnait encore le jour de la saint Irénée, en l'an 1180 de l'Incarnation du Seigneur.
    L'orme jaillissait de terre au milieu d'une immense prairie, à la lisière de France et de Normandie, si imposant que les rares arbres poussant à proximité eussent aussi bien pu être invisibles. À l'ombre de son feuillage, dans la douceur de juin, attendaient le souverain anglais et son escorte. Ils venaient de quitter la protection du château de Gisors, dont les puissantes murailles se dressaient à quelque distance.
    Henri Plantagenêt avait alors quarante-sept ans. L'âge, le souci, les excès avaient marqué de gris sa barbe et sa crinière rousses, commençaient d'empâter sa silhouette, mais sa haute taille et sa carrure de lutteur, nullement diminuées, faisaient toujours de lui un être impressionnant de puissance. Ses yeux gris perçants, au sein d'un visage rougeaud – le plus souvent affable mais qui pouvait aussi se convulser en de violentes colères –, révélaient une vive intelligence et la ruse du goupil. De ce comte parmi

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