Le roi d'août
sa retraite. Vous aurez soin de l'avertir que si j'en suis réduit à pareille extrémité, il ne devra compter sur aucune mansuétude de ma part.
— Voilà qui était sagement parlé, approuva Richard quand les émissaires furent repartis. Le vieux va comprendre qu'il ne t'abuse pas avec ses douleurs imaginaires et nous rejoindre au grand galop.
Philippe s'abstint de répondre, un peu irrité. Son compagnon avait peut-être un cœur de lion mais ce cœur était aussi sec que la poussière des routes écrasées de soleil. Certes, le jeune roi ne choisissait pas ses alliés pour leur clémence, et lui-même savait faire preuve de dureté si nécessaire ; la cruauté gratuite, cependant, lui déplaisait.
Une nouvelle fois, et il sentait que ce ne serait pas la dernière, il regretta Geoffroy.
« Seigneur comte, il me semble, ainsi qu'à d'autres, que tu agis
très légèrement et sur de mauvais conseils en guerroyant contre ton
seigneur, le roi de France, dont l'autorité t'a valu de multiples
dons. […] Tu ne dois pas mépriser sa jeunesse. S'il est jeune par
le nombre des années, il a l'esprit d'un homme âgé sage et énergique
dans l'action, il garde à jamais la mémoire des torts, mais
n'oublie jamais les bonnes actions. Crois-en ceux qui ont de l'expérience.
Moi-même, je me suis opposé à lui autrefois – ce qui m'a
coûté cher – et je m'en repens aujourd'hui. »
Philippe d'Alsace à Richard Plantagenêt, d'après Gervais de Canterbury
2
On était en milieu de matinée. Derrière les lices, les joutes plaidisses s'achevaient. Ces préliminaires au véritable tournoi duraient depuis l'aube. Seuls s'y affrontaient les plus jeunes, ceux qui n'avaient encore jamais eu l'occasion de livrer un véritable combat : il s'agissait de luttes quasi amicales, durant lesquelles on évitait les coups trop rudes. Les combattants chevronnés n'avaient rien à y gagner, aussi les dédaignaient-ils, attendant avec plus ou moins de patience que les débutants leur abandonnent la place.
Philippe venait d'avoir vingt-et-un ans, en ce sixième jour après l'Assomption, et c'était officiellement pour célébrer son anniversaire qu'il avait ordonné la rencontre. Tous ceux qui le connaissaient, cependant, savaient bien qu'elle constituait un simple moyen de complaire à Geoffroy Plantagenêt, son hôte depuis plusieurs semaines.
Le roi lui-même ne prendrait pas part aux combats. Qu'il fût présent était en soi exceptionnel, puisqu'il abhorrait ces périlleux divertissements : combien de braves chevaliers n'avait-il pas déjà vus perdre la vie ou se blesser grièvement en pareilles circonstances, alors qu'ils eussent ensuite pu lui être utiles sur le champ de bataille ? La plupart, pourtant, lorsqu'il n'y avait pas de guerre en cours, passaient de l'un à l'autre des tournois régulièrement organisés sur le continent. Les « jeunes », surtout – ceux qui n'étaient pas encore mariés et établis –, mais aussi une bonne partie des grands barons, trouvaient ainsi un exutoire à la violence qui les habitait et le moyen de s'enrichir. Ou de tout perdre. Parfois, Philippe s'étonnait du formidable réseau de communications qui portait la nouvelle d'une rencontre aux quatre coins de son royaume et des domaines voisins : les messagers étaient en la matière bien plus efficaces que ceux auxquels il confiait ses propres lettres.
L’Église le rejoignait dans son aversion, estimant que tant d'énergie eût été mieux employée à la défense de la Chrétienté, mais les mises en garde répétées des prêtres, des évêques, du pape lui-même n'avaient aucune influence sur ces hommes de guerre, aussi dévots qu'on pouvait l'être quand la dévotion n'entravait pas leurs plaisirs.
Le roi, Isabelle à son bras, et se forçant à faire bonne figure, circulait parmi les combattants français qui achevaient de s'équiper près des demeures en bois érigées au bord des lices pour les accueillir. La compétition commencée, ce serait là qu'ils reviendraient périodiquement souffler un peu avant de se replonger au cœur de la mêlée. Un peu plus loin, s'apprêtaient pareillement les hommes de Champagne, encore plus loin ceux du Hainaut et de Flandre. Les quatre maisons, associées au cours du tournoi, affronteraient les troupes anglaise, normande, angevine et bourguignonne. Appellations trompeuses : nombre de chevaliers désargentés mais habiles aux armes louaient leurs services au plus offrant, si
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