Le roi d'août
Mais ainsi, je n'aurais rien prouvé du tout. En négociant, au contraire, j'ai augmenté mon prestige. Le comte de Flandre, en outre, a dû me céder tellement de places fortes que je contrôle aujourd'hui une bonne partie de la vallée de la Somme, et qu'à sa mort, je maîtriserai celle de l'Oise. J'ai aussi pu récompenser mon beau-père de la loyauté à laquelle je l'avais contraint, en lui faisant reconfirmer son héritage.
— Tu oublies le principal, mon cousin, intervint l'évêque. Si tu avais écrasé Philippe d'Alsace, tu aurais eu en lui un ennemi mortel, alors qu'il est redevenu ton allié : on peut dire ce que l'on veut de lui, c'est un homme habile qu'il vaut mieux avoir avec soi.
— Il est vrai que tu l'as impressionné, opina Richard. Je me rappelle une discussion que nous avons eue, lui et moi, il y a quelques années. Je commettais l'erreur de te combattre, alors que nous avions tout à gagner à nous unir. Il m'a dûment chapitré sur le sujet, et je n'ai jamais oublié ses paroles. En fait, c'est en partie grâce à lui que nous sommes ici aujourd'hui.
Philippe eût volontiers discuté cette affirmation, mais il n'estima pas opportun de faire remarquer au comte de Poitiers combien il l'avait manipulé pour en arriver à le dresser contre Henri. L'évêque de Beauvais en était conscient, lui.
Bien qu'amusé, il s'abstint néanmoins de tout commentaire : s'il était plus vaillant guerrier que politique avisé, il tenait une certaine finesse de son père, Robert de Dreux.
— Il m'est fidèle, c'est vrai, reprit le roi. D'ailleurs, tous mes voisins le sont, désormais, même le duc de Bourgogne, dont les velléités de révolte n'ont pas duré bien longtemps. En vérité, il ne reste plus que l'Anjou pour me causer du souci – et dès ce soir, je veux le croire, l'Anjou me sera fidèle aussi, puisqu'il sera à toi, Richard.
— À condition que mon père veuille bien me le céder, soupira l'intéressé. Et pour cela, il faudrait qu'il arrive. Je ne te cache pas que son retard commence à m'inquiéter.
Ses deux compagnons hochèrent la tête, songeurs, sans chercher à relancer la conversation. À ce stade, Philippe préférait la laisser mourir : d'humeur nostalgique, il avait apprécié de relater les premières années de son règne, mais le récit en était arrivé à un point où les Plantagenêts devenaient mêlés de trop près aux affaires françaises pour qu'il fût sain de brasser les souvenirs. En particulier de rappeler à Richard qu'on n'avait cherché son alliance que par défaut, après celle de son frère Geoffroy.
Une soudaine agitation s'empara des soldats de l'escorte. Sur la route de Chinon, un nuage de poussière annonçait l'approche d'une petite troupe. Les trois hommes se remirent sur leurs pieds, espérant enfin accueillir celui qu'ils attendaient avec une telle impatience. À leur grande déception, ils n'assistèrent qu'au retour des émissaires de Philippe.
— Le roi Henri vous envoie ses salutations, sire, déclara le maréchal Aubri Clément, à peine descendu de sa monture. Il a bien quitté Chinon ce matin comme prévu, mais son état de santé ne lui a pas permis de faire route jusqu'ici : nous l'avons trouvé à la commanderie templière de Ballon. Il vous supplie de reporter votre entrevue à un jour prochain, le temps pour lui de récupérer quelques forces.
— Est-il donc si mal que cela ? s'étonna le roi. Je sais que ses douleurs lui rendent les chevauchées pénibles, mais j'ignorais qu'il fût aussi handicapé.
— Une sorte de gangrène lui noircit tout le bas du corps. Il ne peut…
Le rire moqueur de Richard interrompit la réponse.
— Je vous avais bien dit qu'il trouverait quelque ruse pour se défiler, sire. Si vous voulez mon conseil, ne croyez pas un mot de tout cela !
Philippe, incertain, se retourna vers Aubri.
— Avez-vous vu Henri en personne ?
— Non, sire. Je me suis entretenu avec messire Guillaume le Maréchal, qui ne quitte guère son chevet, dit-on, et dont je tiens les informations que je vous rapporte.
Le comte de Poitiers eut un geste éloquent. Le roi n'hésita guère : il connaissait trop la rouerie du vieux Plantagenêt pour tergiverser.
— Vous allez retourner sur-le-champ à Ballon, maréchal Clément, ordonna-t-il. Là, vous signifierez au roi d'Angleterre que je rejette sa requête. S'il ne s'est pas présenté ici à la nuit tombée, je serai contraint de l'assiéger dès demain dans
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