Le roi d'août
bien qu'on trouvait des Français parmi les Flamands, des Anglais au milieu des Champenois… Philippe d'Alsace, notamment, un des chefs les plus passionnés de tels affrontements, dépensait sans compter ses deniers pour s'assurer le concours des meilleurs guerriers.
Le roi salua de loin son cousin Robert, le fils aîné du vieux comte de Dreux, puis se dirigea vers un Geoffroy auquel ne manquait plus que son heaume pour être prêt à monter en selle, et qui recueillait les derniers encouragements de son épouse, Constance de Bretagne. Le jeune Plantagenêt, bien entendu, s'était enrôlé sous la bannière française. Pour l'en remercier, on l'avait nommé capitaine de la troupe. Ce serait à lui que reviendrait de brider les ardeurs de ses partenaires afin de leur faire respecter la tactique convenue, à lui aussi que serait décerné l'essentiel des lauriers en cas de victoire.
Geoffroy, contrairement à ses deux aînés, Richard et Henri – feu Henri, désormais, puisqu'il avait succombé trois ans plus tôt à une maladie des entrailles –, n'avait hérité ni la haute taille ni la rousseur de son père. De stature moyenne, ce n'en était pas moins un chevalier accompli qui ne laissait sa place à personne au milieu du champ.
— Eh bien, monseigneur ! lui lança Philippe. Toujours décidé à rompre quelques lances ?
— Et quelques os si nécessaire, répondit Geoffroy. Je me ferai un honneur de défendre vos couleurs, sire, en attendant de vous servir plus concrètement.
Le roi eut une moue signifiant que l'instant n'était pas aux discussions sérieuses. Nul n'ignorait, même parmi Angevins et Anglais, que le duc de Bretagne avait fait hommage au Capétien pour son fief, alors qu'il le tenait théoriquement de son père. Si les deux hommes ne comptaient pas en rester là, les opérations militaires qu'ils préparaient devaient rester secrètes jusqu'à devenir réalité. Après s'être assuré de ne plus partager le pouvoir dans son propre domaine – sa dernière mesure en date à cet effet ayant consisté à s'abstenir de nommer un nouveau chancelier après la mort d'Hugues du Puiset, l'année précédente –, Philippe était désormais prêt à aller plus loin.
Isabelle et Constance échangeaient moult politesses sur leurs tenues respectives, faites des étoffes les plus fines et les plus colorées. Sous le bliaud azur de la seconde se devinait une grossesse récente, prélude, on l'espérait, à la naissance d'un héritier pour le duché. Comme les jeunes femmes babillaient gaiement, le roi détourna sa conversation avec Geoffroy vers le tournoi à venir, simulant l'intérêt.
Tous domaines confondus, près de trois mille chevaliers s'étaient rendus à l'appel, avec leurs écuyers. En comptant les hommes d'armes de petite naissance, ce seraient huit à neuf mille combattants qui s'affronteraient tout à l'heure. Le duc de Bretagne ne doutait pas de l'emporter : il aurait dans son camp une des deux troupes les plus redoutables, celle de Flandre ; quant à l'autre, celle d'Angleterre, elle avait beaucoup perdu depuis que son ancien capitaine, l'extraordinaire chevalier qu'était Guillaume le Maréchal, avait entrepris un pèlerinage en Terre Sainte. Philippe, lui, ne souhaitait la victoire que pour contenter son allié : ses ennemis pouvaient sinon gagner autant de tournois qu'il leur plaisait, pour peu qu'ils perdissent les vraies batailles.
— Vous l'aimez bien, n'est-ce pas ? lui souffla Isabelle un peu plus tard, tandis qu'ils s'éloignaient pour aller saluer d'autres membres de leur parti.
— Geoffroy ? Oui, sans doute. Je ne me mettrais pas autant en frais pour lui s'il ne pouvait m'être utile, mais j'admets lui vouer une certaine affection. C'est un joyeux compagnon. Qui n'a par ailleurs ni la dureté ni la rouerie des autres Plantagenêts. À celui-là, je crois pouvoir faire confiance.
— Je suis tellement heureuse pour Constance et pour lui, reprit la reine. (Elle soupira.) Si seulement Dieu voulait que je vous porte un enfant, moi aussi !
— Il le voudra, n'ayez crainte. Je suis sûr qu'il le voudra très bientôt, à présent.
Malgré leur réconciliation, à Senlis, Philippe s'était gardé de fréquenter trop souvent la couche de son épouse, afin de lui épargner une grossesse prématurée à laquelle mère et enfant eussent risqué de ne pas survivre. Depuis quelques mois, toutefois, la jugeant apte à concevoir, il la rejoignait presque chaque soir
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