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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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répandant presque aussitôt en elle, puis l'abandonnant sans cérémonie. La deuxième fois, les difficultés politiques engendrées par le comte de Hainaut lui pesaient tant sur le cœur qu'il avait moins vu en elle l'épouse que l'enfant d'un ennemi : il avait eu envie de la faire souffrir – et il avait réussi.
    Rien de tout cela n'était plus vrai ce soir-là. En outre il avait depuis connu d'autres couches, moins nobles mais plus avisées, où il avait gagné à la fois de l'assurance et une certaine science des plaisirs féminins. Sa maladresse envolée, ce fut avec patience, avec douceur, qu'il caressa et embrassa le corps d'Isabelle, l'amena au bord de la jouissance.
    Lorsqu'il s'allongea enfin sur elle pour la pénétrer, il se rendit compte qu'elle avait fermé les paupières et que les chandelles étaient près de s'éteindre. Une soudaine flèche d'angoisse le traversa.
    — Ouvre les yeux, souffla-t-il. Regarde-moi.
    La jeune fille obéit. Ses iris étaient bleus – mais ses iris seulement. Ce n'était pas Lysamour. Ce n'était pas un monstre.
    — Je t'aime, Philippe, chuchota-t-elle.
    À son expression, il sut qu'elle avait peur de souffrir à nouveau. Comme il hésitait, elle lui plaqua néanmoins les mains au creux des reins pour l'attirer en elle. Le soupir qu'elle poussa en l'accueillant lui apprit que, cette fois, la douleur ne serait pas de mise. Rassuré, il lui baisa les lèvres avec ardeur et se laissa aller.
    Philippe avait dix-huit ans, Isabelle quatorze, mais ils firent l'amour ainsi que des adultes et se trouvèrent enfin pleinement satisfaits l'un de l'autre.
    « Quant ces flouretes florir voi
Et chanter ot ces chanteeurs
Por la fleur chant qui a en soi
Toutes biautez, toutes valeurs.
Ele est et mere et fille a roy,
Roses des roses, fleurs des fleurs.
Certes molt l'aim : Diex doinst qu'oint moi
Et qu'ele y mete bonnes meurs. »
    (Quand je vois ces fleurettes fleurir, et quand j'entends chanter
ces chanteurs [les oiseaux], je chante pour la fleur qui a en elle
toute beauté, toute valeur. Elle est mère et fille d'un roi, rose des
roses, fleur des fleurs. Certes je l'aime beaucoup : que Dieu fasse
qu'elle m'aime et qu'elle y mette bonne mesure.)
    Gautier de Coincy

III

1
    Richard ricana dans sa barbe.
    — Joli tour, vraiment, que tu as joué à Baudouin. Je n'aurais pas fait mieux moi-même.
    Philippe retint la réplique qui lui montait aux lèvres : je t'en ai joué de pareils, mon bel ami, et tu ne t'en es pas même rendu compte…
    — Il s'est néanmoins encore fait tirer l'oreille pour changer de camp, dit-il plutôt. L'héritage de Flandre lui était cher. En revanche, mon parrain, lui, n'a jamais douté de la trahison, au point que lorsqu'il s'est remarié, il a attribué en douaire à sa nouvelle femme une partie dudit héritage, sans compter certaines terres d'Artois dont il avait auparavant doté Isabelle. Là, c'était la guerre ouverte.
    Les pigeons roucoulaient à qui mieux mieux au-dessus des deux hommes qui, malgré l'ombre du colombier, suaient toujours à grosses gouttes sous leur haubert. Une forte odeur de transpiration imprégnait l'air.
    L'évêque de Beauvais, sa brève cérémonie funèbre achevée, était venu se joindre à la conversation.
    — Ce qui m'échappe toujours, c'est pourquoi il a agi ainsi, avoua-t-il en caressant le sommet de son crâne où poussaient les courts cheveux drus qu'il négligeait de tondre depuis le début des hostilités, auxquelles il participait aussi activement que n'importe quel homme de guerre. Le comte devait bien avoir conscience qu'isolé, il perdrait la partie.
    Le roi haussa les épaules.
    — Je crois qu'il comptait toujours sur l'appui de l'empereur, mais Barberousse était trop occupé de ses propres affaires pour le soutenir, sinon moralement. Et surtout, c'est son orgueil qui a perdu mon parrain : après s'être vu à la tête du royaume, il n'y était plus rien ; cela, il ne l'a pas supporté.
    La lutte avait pris fin dans la vallée de la Somme. Philippe d'Alsace, son armée dispersée, s'était retranché à Boves, où troupes françaises et hennuyères l'avaient assiégé. Comprenant qu'il n'était pas de taille, il avait demandé la paix.
    — Avec les forces dont tu disposais, tu aurais pu l'écraser, remarqua Richard.
    — J'ai failli le faire, admit Philippe. J'avais dix-neuf ans, et la tentation était grande de remporter une victoire facile, moi qu'on prenait encore pour un gamin incapable.

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