Le roi d'août
idéales pour désarçonner proprement le meilleur des cavaliers.
Les Champenois, menés par Thibaut de Blois, et les Hennuyers, que conduisait Baudouin en personne, s'avancèrent ensuite et se joignirent aux Français. Les Flamands, prêts à en découdre, eux aussi, demeurèrent en retrait. On connaissait la technique de Philippe d'Alsace : attendre pour intervenir que la mêlée fût bien entamée, les combattants déjà éprouvés.
À bonne distance, presque hors de vue, une autre de ces véritables armées s'assemblait : l'ennemi du jour – et des autres jours. En dehors des Bourguignons, exceptionnellement alliés aux chevaliers venus des fiefs d'Henri Plantagenêt, pour équilibrer les forces en présence, la distribution des équipes reflétait la politique du moment.
Ce fut tout d'abord la parade. Bannières au vent, lances relevées, on fit admirer les hauberts que les écuyers avaient passé la nuit à briquer, les fringantes montures harnachées comme pour la guerre.
Lorsque l'on s'estima suffisamment acclamé, on se rangea enfin en ordre de bataille, les chevaliers devant, sur plusieurs rangs, tous les autres derrière afin de participer au combat une fois achevée la charge initiale.
Nul ne donna le signal du départ. Les Français et leurs alliés se contentèrent de s'avancer au pas vers la troupe ennemie. Constatant que cette dernière les imitait, ils éperonnèrent leurs chevaux, conservèrent un trot de bon aloi jusqu'à se trouver à quarante toises de leurs adversaires, puis forcèrent encore l'allure.
Cette portion-là du champ était plane, si bien que rien ne gênait la progression des bêtes, dont les sabots faisaient trembler la terre dans un vacarme assourdissant. C'étaient plusieurs milliers de cavaliers qui se jetaient ainsi les uns vers les autres au grand galop, en une gigantesque bataille rangée.
Et les premières lignes se rencontrèrent enfin. Le fracas redoubla quand les fers aiguisés frappèrent les écus et que les hampes, pour la plupart, volèrent en éclats. Deux ou trois chevaliers seulement furent désarçonnés : ces gens-là savaient tenir en selle, et les lances, en se brisant, absorbaient l'essentiel du choc ; on poignait ainsi surtout pour le panache et dans l'espoir de désorganiser la troupe adverse plus que de causer grand mal.
Ceux qui avaient franchi ce premier barrage se trouvèrent de part et d'autre face aux cavaliers de la deuxième ligne. Puisque presque tous avaient d'ores et déjà fracassé leur arme initiale, force leur était de parer simplement les nouveaux coups de lance, puis les suivants, en continuant de se maintenir sur leur destrier : qui tombait se voyait bientôt assailli de tous côtés et n'avait qu'une chance infime de remettre le pied à l'étrier avant de se voir proprement assommé.
Geoffroy, ayant supporté quatre assauts successifs, ne vit enfin plus personne face à lui. Il tira sur ses rênes et profita du répit pour empoigner sa masse d'armes, regarder autour de lui. La charge s'était soldée par un quasi statu quo, aucun parti n'ayant acquis d'avantage décisif. Partout, des corps à corps brutaux s'étaient engagés.
Un chevalier anglais se portait à sa rencontre, l'épée haute. Le jeune Plantagenêt dévia habilement la lame et martela le crâne de son adversaire qui chancela sur sa selle. Un deuxième coup de masse, puis un troisième, achevèrent le travail : étourdi, aveuglé par son heaume cabossé, l'Anglais vida les étriers et s'abattit lourdement à terre.
Geoffroy résista à l'envie de s'emparer du destrier ainsi délaissé et d'aller le confier aux valets. Il n'était pas temps de laisser la convoitise l'emporter sur la raison : qui s'oubliait au point de faire des prises en début de tournoi retirait à sa troupe le concours de ses bras et en entamait la cohésion.
— Regroupez-vous ! hurla-t-il pour être entendu au milieu de la mêlée. Avec moi !
Piquant des deux, tandis que son mot d'ordre se transmettait de proche en proche, il fila vers une petite éminence herbue, emplacement stratégique dont il était opportun de prendre possession avant l'adversaire. Deux hommes d'armes à pied, lui barrant le passage, tentèrent de le faire choir à l'aide de longs crocs acérés. Sans même marquer une pause, il écarta le premier coup de son écu, détourna l'autre à l'aide de sa masse et poursuivit son chemin. Un coup d'œil en arrière lui apprit que ses compagnons n'avaient guère de mal
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