Le roi d'août
où l’Église autorisait le commerce charnel entre époux, et tous deux s'en trouvaient fort bien. Elle parce qu'elle l'aimait, lui pour la même raison, mais aussi parce qu'incapable de se passer de femme très longtemps, il était auparavant contraint à l'adultère, ce qui pesait sur sa conscience.
Les époux royaux passèrent ainsi de chevalier en chevalier, distribuant sourires et bons vœux, saluant parfois avec bonne humeur un groupe de gens du commun qui les acclamaient. Outre les combattants qu'entouraient familles et amis, toute une faune avait accouru : curieux brûlant d'applaudir les exploits guerriers, mais aussi marchands aux étals installés jusqu'à un quart de lieue à la ronde, sûrs d'amasser en ce jour la recette de tout un mois, malgré les taxes dont ils étaient l'objet. Chez eux, chacun pouvait se nourrir, se rafraîchir, voire remplacer un cheval abattu ou capturé ; les étrangers au domaine royal avaient également la possibilité de changer leurs deniers en monnaies locales. Çà et là, jongleurs et montreurs d'animaux savants proposaient leurs spectacles. Dans l'ombre des arbres et des buissons, des filles follieuses venues de Compiègne, de Paris et de plus loin encore régalaient de leurs talents les rares individus qui désiraient en profiter sans attendre ; comme les marchands de vin, elles feraient l'essentiel de leur profit durant la soirée, quand les soldats seraient anxieux de fêter la victoire ou d'oublier la défaite.
— Je ne vois pas Renaud, remarqua Isabelle, alors que, les joutes plaidisses enfin terminées, la plupart des chevaliers se hissaient sur leur destrier, coiffaient leur heaume, empoignaient lance et écu.
— Je l'ai aperçu tout à l'heure, répondit Philippe, qu'aborder ce sujet rendait sombre.
— Où cela ? interrogea sa femme, tournant machinalement la tête de droite et de gauche, comme si elle avait pu par quelque miracle découvrir celui qu'elle cherchait.
— Avec les Anglais, évidemment. Où voulez-vous qu'il soit ?
— Oh… Il a donc refusé vos propositions.
— Je lui ai offert cent livres de rentes pour l'avoir dans mon camp. Il m'a fait répondre que son amour filial n'était pas à vendre. J'imagine que je ne peux pas décemment lui en vouloir et que j'en ferais autant à sa place, mais il me manque.
Peu de temps auparavant, Aubri, le père de Renaud, avait juré fidélité à Henri II. Philippe, en réponse, avait confisqué le comté de Dammartin. Aubri s'était réfugié en Angleterre, et son fils, pourtant récemment adoubé de la main même du roi, l'y avait suivi après une froide dispute avec son ami d'enfance.
Isabelle pressa d'une main apaisante celle de son époux.
— Ne désespérez pas, lui enjoignit-elle. Je sais combien il est douloureux pour vous de le voir jouter contre vos chevaliers, et cela m'est douloureux aussi, croyez-le, car il m'a toujours été le plus fidèle des compagnons, mais je suis sûre que vous vous l'attacherez à nouveau quand son père ne sera plus de ce monde.
Philippe se contraignit à sourire pour la remercier de ses bonnes paroles.
— Venez, dit-il. Écartons-nous du chemin de ces braves gens qui semblent si impatients d'échanger des horions.
Tels les autres spectateurs, ils assisteraient aux combats sur le bord du pré, guettant les commentaires des hérauts qui, seuls, reconnaissaient d'un coup d’œil les guerriers vêtus de fer, aux meubles de leurs écus ou de leurs cottes d'armes.
De l'affrontement, ils ne verraient qu'une partie : le champ, sis dans les environs de Compiègne, non loin de la résidence royale, comprenait plusieurs dizaines d'arpents de terrain plat ou accidenté : des buttes, deux étangs, un petit bois et jusqu'à un village évacué la veille y constituaient autant d'obstacles ou de refuges possibles. Nul ne pouvait encore dire où auraient lieu les assauts principaux, la seule certitude étant qu'on ne se battrait pas au-delà des lices.
Déjà, la troupe française, Geoffroy en tête, franchissait ces dernières. Elle comprenait environ trois cents chevaliers, parmi lesquels les fils du comte de Dreux, évêque de Beauvais compris, et le connétable de Clermont. À ces guerriers d'exception et à leurs servants venaient s'ajouter quelque cinq cents mercenaires engagés pour l'occasion, munis de piques ou de vouges – armes d'hast délaissées par la noblesse car peu chevaleresques, mais néanmoins redoutables sur le champ de bataille,
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