Le roi d'août
s'enfuirent, dirait-on plus tard en France.
Il n'y eut ni mort ni blessé. Témoin de l'échauffourée, la garnison de Gisors ouvrit les portes le temps de laisser entrer les siens et les referma au nez de l'ennemi. Quelques carreaux d'arbalète furent tirés des créneaux, plus pour impressionner que pour faire couler le sang, si bien que les enragés refluèrent à leur tour.
Tout naturellement, ils allèrent occuper en territoire conquis la vaste étendue d'ombre qu'ils convoitaient depuis le matin. Et dont ils ne devaient guère profiter : un chevalier – un des rares membres de la troupe à savoir lire – commit l'erreur de déchiffrer à haute voix le texte gravé sur le tronc : « Il sera aussi difficile aux Français de vaincre les Anglais que d'abattre cet orme. »
— À vos haches, camarades ! hurla quelqu'un. Pour la France et l'honneur de son roi !
Ravis de trouver un exutoire à leur colère, ceux qui possédaient l'outil requis se répartirent autour de l'arbre et s'attelèrent à la tâche sans se demander un instant si ledit roi approuverait l'entreprise. Jamais, de mémoire d'homme, haches d'armes ne s'étaient ainsi vues ravalées au rang de vulgaires cognées. Certains soldats, trop furieux et trop impatients pour attendre leur tour, attaquèrent le tronc à coups d'épée, à coups de masse. Oubliant la chaleur, oubliant qu'ils avaient failli se battre pour la possession de ce même orme, tous se relayèrent ainsi pendant des heures, évacuant à la fois leur fureur et les vapeurs de vin qui les habitaient.
Quand l'arbre bascula enfin dans un fracas infernal, manquant d'écraser deux ou trois bûcherons improvisés, une clameur de triomphe monta de toutes les poitrines. On ne voulut cependant pas en rester là : on s'acharna sur les branches, on coupa, on trancha, on débita, jusqu'à ce que ne restât plus au milieu du pré qu'un pauvre tas de bois mutilé.
Ainsi mourut l'orme de Gisors, symbole de concertation, comme pour présager qu'était achevé le temps des entrevues, qu'il ne saurait y avoir de paix entre le roi des Français et le roi d'Angleterre que l'un ne fût totalement vaincu, écrasé par l'autre.
Et l'orme était anglais.
« C'est une honte pour la couronne de France ! Suis-je venu ici
pour faire le bûcheron ? »
Attribué à Philippe II après l'incident.
5
Il y eut cependant d'autres entrevues entre celle de Gisors qui avait vu la chute du vieil orme et celle de Colombiers qui devait voir la chute du vieux roi.
La première eut lieu à la mi-novembre, près du petit village de Bonsmoulins, en Normandie, juste avant que les neiges n'imposent la trêve d'hiver. Philippe n'y arriva pas seul : Richard Plantagenêt chevauchait auprès de lui.
Après Gisors, puisqu'aucun accord n'avait été conclu, chacun s'était retranché sur ses positions. Les barons de Philippe, que ne retenait plus l'obligation de défendre le royaume, avaient regagné leurs domaines respectifs avec leurs troupes. Henri II, tout en faisant mine de disperser également son armée, l'avait secrètement regroupée à Pacy-sur-Eure, sur les conseils de Guillaume le Maréchal – lequel n'avait toujours pas digéré l'insulte essuyée un peu plus tôt. De là, il avait lancé une chevauchée victorieuse au sein du domaine royal, pillant, brûlant, dévastant tout sur son passage, jusqu'à la ville de Mantes, sans que les forces françaises, trop réduites, pussent l'en empêcher. Dans le même temps, Richard, fort de ses succès méridionaux, envahissait à son tour le Berry, menaçait Châteauroux.
Philippe, pris entre deux feux, devait se résoudre à traiter, ce qui le plongeait dans une colère noire : renoncer officiellement aux revendications qui lui donnaient depuis des années un prétexte pour battre en brèche la puissance angevine, c'était s'avouer vaincu, se soumettre. Ni son orgueil ni les ambitions qu'il nourrissait pour le royaume ne pouvaient s'accommoder d'une telle défaite.
Un rapport de ses informateurs lui avait suggéré une autre solution au problème : les Plantagenêts père et fils, s'ils l'attaquaient au même moment, ne l'attaquaient pas ensemble. Il n'y avait pas entre eux la moindre collusion et leurs rapports demeuraient désastreux depuis qu'Henri avait proposé de substituer Jean à Richard en Aquitaine. Philippe, sans qui ledit Richard n'eût rien su de ce projet, avait estimé qu'il était temps de pousser son avantage – d'autant plus
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