Le roi d'août
perdons-nous pas notre temps à nous disputer des terres qui appartiendront bientôt à un troisième ? soupira-t-il.
Le Plantagenêt sursauta. Fermant un œil, il fixa Philippe de l'autre, sur la défensive.
— Ce sont sans doute les vapeurs du vin qui m'abusent, dit-il, car par les jambes-Dieu ! je ne vous entends pas.
— Ma foi, votre fils, le comte de Poitiers, est votre héritier et, en toute équité, il devrait avoir été associé à votre trône depuis beau temps. Puisque vous ne pouvez plus guère différer son couronnement, il me semble logique qu'à cette occasion, vous lui fassiez don des fiefs qui lui reviennent de droit : la Touraine, l'Anjou, le Maine et la Normandie.
— En somme, tous mes fiefs continentaux. Tous ceux dont vous êtes le suzerain ?
Philippe haussa les épaules, bien meilleur comédien que Richard.
— Ma suzeraineté n'est pas ici en cause. Ce sont les intérêts du comte que je défends devant vous, à présent, non les miens.
— Et au nom de ces intérêts, vous me conseillez donc de me dépouiller à son bénéfice ?
— Je ne conseille que ce que réclame le bon droit, mais je le conseille vivement.
Henri secoua la tête, un demi-sourire amer aux lèvres.
— Je crois voir clair dans votre jeu et dans celui de Richard, sire. Pourtant, si le sens ne me fait pas défaut, ce ne sera pas aujourd'hui qu'il aura ce cadeau. (Il vida d'un trait son gobelet et le jeta à terre, incapable de dissimuler son irritation.) Nous verrons, lorsque votre fils aura grandi, si vous jugez bon d'associer au trône un blanc-bec qui n'aura d'autre but que de vous arracher un à un les rênes du pouvoir. Dans l'intervalle, je vous supplie de me pardonner, mais il me tarde d'aller reposer mes vieux os. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous reprendrons cet entretien demain.
Son compagnon acquiesça sans se faire prier, sachant ce qui allait arriver. Quand il suivit le roi d'Angleterre à l'extérieur, Richard, comme par hasard, se tenait à la sortie du pavillon, causant aimablement avec Guillaume le Maréchal et quelques autres.
— Néanmoins, permettez-moi d'insister, sire, reprit Philippe à haute voix. Si vous savez ce qui est juste, je vous adjure de reconnaître enfin dans le comte de Poitiers l'héritier de vos biens et de lui faire prêter hommage par vos barons. En outre, j'exige que vous célébriez au plus tôt son mariage avec ma sœur Adélaïde.
Henri eut un ricanement méchant.
— S'il se contente de mes restes, il est le bienvenu, lança-t-il, furibond. En dehors de cela, vous me demandez ce que je ne suis pas prêt à accepter.
— Par les jambes-Dieu ! s'écria Richard, alors qu'un mutisme général saisissait soudain les chevaliers présents. Je vois bien maintenant la vérité que je n'osais croire !
La scène tombait trop à point pour n'avoir pas été répétée. Toutefois, l'important n'était pas qu'elle fût spontanée mais qu'elle fût publique.
— Vous me traitez bien mal, mon père, reprit le comte de Poitiers en s'avançant vers les deux rois d'un pas furieux, mais soit je suis mauvais prophète, soit vous vous en repentirez.
Comme un murmure de stupéfaction montait de l'assistance, il dénoua son ceinturon d'un geste théâtral et le laissa tomber à terre avant de s'agenouiller devant Philippe, de lui tendre des mains qui furent prises aussitôt.
— Puisqu'il me faut chercher justice ailleurs que dans ma propre famille, sire, je me déclare votre homme lige pour toutes les terres qui m'appartiennent de droit et qui dépendent de votre suzeraineté. J'implore également votre aide et protection afin d'en être investi selon les règles.
— Monseigneur ! tenta d'intervenir Guillaume le Maréchal. Je vous conjure de réfléchir à la gravité de…
— Ne vous mettez pas en peine, Maréchal, coupa Henri. Ces deux là se sont entendus pour me tondre la laine sur le dos, mais je jure que, tant qu'il me restera un souffle de vie, ils n'y parviendront pas.
Puis il tourna les talons et s'éloigna en maugréant.
— Relevez-vous, seigneur comte, dit Philippe, ignorant l'interruption. J'accepte votre hommage et fais vœu de vous prêter assistance dans votre juste entreprise.
Richard s'étant redressé, il le baisa sur la bouche, ainsi que le voulait la coutume, et tout fut dit.
Bien sûr, il n'était plus question de négociations. Henri II leva le camp immédiatement, aussi furieux que déprimé.
— J'aurais dû m'en
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