Le roi d'août
satisfaction le pénétra lorsqu'il découvrit le spectacle s'étendant devant lui. Le filet d'eau emplissait désormais son lit jusqu'à dix pouces des berges et fournirait amplement de quoi désaltérer toute l'armée en campagne.
— Notre Seigneur a entendu votre prière, sire, déclara Raoul en désignant les trombes d'eau qui dévalaient le coteau.
Philippe, peu soucieux d'ajouter le sacrilège à la liste de ses péchés, se garda d'acquiescer. Toutefois, il laissa dire. Quelle autre explication eût-il bien pu trouver ?
— Venez, dit-il lorsqu'il se sentit assez solide sur ses jambes pour marcher. Allons annoncer la nouvelle à nos braves compagnons. Ensuite, qu'on trouve un prêtre : je désire entendre une messe sur l'heure et rendre grâce à Dieu.
La nouvelle qu'un miracle s'était accompli par l'intermédiaire du souverain français se répandit sans tarder et fortifia grandement le moral des troupes. Nul ne douta de l'intervention divine – ou, s'il se trouva quelque esprit chagrin, il s'abstint de s'exprimer.
Le jour même, Philippe fit emplir d'eau trois barriques, qu'on éventra à la hache en vue des portes de la ville, laissant le précieux liquide imprégner le sol aride. Les habitants de Levroux, démoralisés, se rendirent dès l'aube du lendemain. Ayant toujours jugé plus sage de pardonner à l'ennemi vaincu que de l'accabler, le roi leur fit grâce à tous en échange de leur serment de fidélité au nouveau seigneur qu'il leur imposait : Louis, le fils de Thibaut de Blois. Il poursuivit ensuite sa marche victorieuse.
Montrichard, Palluau, Montrésor… Aucune ville ne semblait assez forte, aucune troupe assez puissante pour arrêter la progression de Philippe. Au terme de la campagne, toutes les possessions du roi d'Angleterre en Berry et en Auvergne étaient passées entre les mains du roi des Français.
Henri II, retranché en Normandie, tenta alors de reprendre l'avantage et envahit le domaine royal par le nord – en pure perte. L'armée française, ivre de victoires et sûre de se battre pour le bon droit puisque Dieu intervenait en sa faveur, se porta à la rencontre de l'ennemi au terme d'une longue marche forcée et le mit à nouveau en déroute.
Au milieu du mois d'août, furieux mais impuissant, le Plantagenêt fut contraint d'accepter une entrevue avec son jeune antagoniste.
Comme bien d'autres auparavant, depuis la première, elle se déroula à proximité du château de Gisors.
Ce devait être la dernière fois.
« L'eau dura tant que le roi continua le siège. […] Mais à peine
eut-il quitté la ville que les eaux retournèrent à leur première place,
et ne reparurent plus. »
Rigord, Gesta Philippi August i
4
Le seul résultat concret de l'entrevue fut des plus inattendus et ne satisfit personne.
La troupe anglaise, arrivée la première, prit ses aises sous le large feuillage de l'orme : il y avait là le roi Henri et quelques uns de ses barons ou chevaliers – parmi lesquels Guillaume le Maréchal, l'un des plus fidèles auxiliaires du Plantagenêt depuis son retour de Terre Sainte –, accompagnés d'une trentaine d'hommes d'armes, en grande partie des mercenaires gallois.
Six semaines après le siège de Levroux, en plein cœur du mois d'août, la canicule demeurait implacable : même à l'ombre du grand arbre, on mourait de chaud, et il n'était pas question de quitter le harnachement guerrier : compte tenu de la tension qui régnait entre les deux camps, tout pouvait arriver.
Les Français firent leur apparition en milieu de matinée et, puisqu'il n'y avait plus d'ombre disponible, s'installèrent au beau milieu du pré, à cent toises de leurs adversaires.
Cette fois, il n'y aurait pas d'échanges de politesses : aucun des rois n'était disposé à un effort. Chacun avait la ferme intention de demeurer parmi les siens, à moins que l'autre ne fit le premier pas. En conséquence, on procéderait par messages successifs, ce qui n'était certes pas le meilleur moyen de trouver un terrain d'entente – mais y tenait-on vraiment ? N'était-on pas là pour la forme, afin de satisfaire les légats du pape qui pressaient les souverains chrétiens de mettre un terme à leur querelle et d'aller enfin, comme ils l'avaient juré, exercer leurs ardeurs sur les Infidèles ?
Philippe, le premier, puisqu'il était en position de force après sa victorieuse campagne, dépêcha un messager dans le camp anglais. Il choisit malgré tout un habile
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