Le Roi de fer
rendre redoutable. Allons ! Ne
t’attarde plus maintenant. Va faire seller ton cheval, et préparer ton bagage.
Ne prends qu’un seul valet d’escorte, pour n’être point remarqué. Mais dis-lui
de s’armer.
Il glissa les documents dans un étui
de plomb qu’il remit à Guccio, en même temps qu’un sac d’or.
— Le sort de nos compagnies est
à présent moitié entre tes mains, moitié entre les miennes, ajouta-t-il. Ne
l’oublie pas.
Guccio embrassa son oncle avec
émotion. Il n’avait pas besoin, cette fois, de se créer un personnage ni de
s’inventer un rôle ; le rôle venait à lui.
Une heure plus tard, il quittait la
rue des Lombards.
Alors, messer Spinello Tolomei mit
son manteau doublé de fourrure, car l’octobre était frais ; il appela un
serviteur auquel il fit prendre torche et dague, et se rendit à l’hôtel de
Marigny.
Il attendit un long moment, d’abord
dans la conciergerie, puis dans une salle des gardes qui servait d’antichambre.
Le coadjuteur menait train royal, et il y avait grand mouvement en sa demeure,
jusque fort tard. Messer Tolomei était homme patient. Il rappela sa présence, à
plusieurs reprises, en insistant sur la nécessité qu’il avait d’entretenir le
coadjuteur en personne.
— Venez, messer, lui dit enfin
un secrétaire.
Tolomei traversa trois grandes
salles et se trouva en face d’Enguerrand de Marigny qui, seul dans son cabinet,
finissait de souper tout en travaillant.
— Voici une visite imprévue,
dit Marigny froidement. Quelle est votre affaire ?
Tolomei répondit d’une voix aussi
froide :
— Affaire du royaume,
Monseigneur.
Marigny lui désigna un siège.
— Éclairez-moi, dit-il.
— Il est bruit depuis quelques
jours, Monseigneur, d’une certaine mesure qui se préparerait en Conseil du roi,
et qui toucherait aux privilèges des compagnies lombardes. Le bruit, à se
répandre, nous inquiète, et gêne fort le commerce. La confiance est suspendue,
les acheteurs se font rares ; les fournisseurs exigent paiement sur
l’heure ; nos débiteurs diffèrent de s’acquitter.
— Cela n’est point affaire du
royaume, répondit Marigny.
— À voir, Monseigneur, à voir.
Beaucoup de gens, ici et ailleurs, s’émeuvent. On en parle même hors de France…
Marigny se frotta le menton et la joue.
— On parle trop. Vous êtes un
homme raisonnable, messer Tolomei, et vous ne devez pas accorder foi à ces
bruits, dit-il en regardant tranquillement un des hommes qu’il s’apprêtait à
abattre.
— Si vous me l’affirmez,
Monseigneur… Mais la guerre flamande a coûté fort cher, et le Trésor peut se
trouver en nécessité d’or frais. Aussi avons-nous préparé un projet…
— Votre commerce, je le répète,
n’est point affaire qui me concerne.
Tolomei leva la main comme pour
dire : « Patience, vous ne savez pas tout…» et poursuivit :
— Si nous n’avons pas pris
parole à la grande Assemblée, nous n’en sommes pas moins désireux de fournir
aide à notre roi bien-aimé. Nous sommes disposés à un gros prêt auquel
participeraient toutes les compagnies lombardes, sans limite de temps, et au
plus faible intérêt. Je suis ici pour vous en donner avis.
Puis Tolomei se pencha et murmura un
chiffre. Marigny tressaillit, mais aussitôt pensa : « S’ils sont
prêts à s’amputer de cette somme, c’est qu’il y a vingt fois plus à
prendre. »
À lire beaucoup et à veiller ainsi
qu’il le faisait, ses yeux se fatiguaient et il avait les paupières rouges.
— C’est bonne pensée et louable
intention dont je vous sais gré, dit-il après un silence. Il convient toutefois
que je vous témoigne ma surprise… Il m’est venu aux oreilles que certaines
compagnies auraient dirigé vers l’Italie des convois d’or… Cet or ne saurait
être en même temps ici et là-bas.
Tolomei ferma tout à fait l’œil
gauche.
— Vous êtes un homme
raisonnable, Monseigneur, et vous ne devez pas accorder foi à ces bruits-là,
dit-il en reprenant les propres paroles du coadjuteur. Notre offre n’est-elle
pas la preuve de notre bonne foi ?
— Je souhaite pouvoir donner
croyance à ce que vous m’assurez. Car, si cela n’était, le roi ne saurait
souffrir ces brèches à la fortune de la France, et il lui faudrait y mettre
terme…
Tolomei ne broncha pas. La fuite des
capitaux lombards avait commencé du fait de la menace de spoliation, et cet
exode allait servir à Marigny pour justifier
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