Le Roi de l'hiver
partit point en guerre. Le roi Melwas
défendit la frontière sud depuis Venta, sa capitale, tandis que les bandes du
prince Gereint, en garnison à Durocobrivis, opéraient des sorties pour
s’opposer aux raids d’Aelle, le redoutable roi saxon. Gereint connut des
moments difficiles et Arthur le secourut en lui dépêchant Sagramor accompagné
de trente cavaliers qui firent pencher la balance en notre faveur. Voyant le
visage noir de Sagramor, les Saxons, nous dit-on, le prenaient pour un
monstre dépêché par le Royaume de la Nuit, et ils n’avaient ni les
sorciers ni les épées susceptibles de lui faire front. Le Numide les fit
reculer à une bonne journée de marche de leur ancienne frontière et il marqua
la nouvelle ligne de démarcation par une rangée de têtes coupées. Il opéra des
razzias en plein cœur de Lloegyr, menant même une fois ses cavaliers jusqu’à
Londres, qui avait été jadis la plus grande ville de la Bretagne romaine, mais
qui se décomposait maintenant derrière ses murs effondrés. Les survivants
Bretons, nous expliqua Sagramor, étaient apeurés et le supplièrent de ne pas
troubler la paix fragile qu’ils avaient conclue avec leurs suzerains Saxons.
On n’avait
toujours aucune nouvelle de Merlin.
Au Gwent, on
attendait l’attaque de Gorfyddyd de Powys, mais rien ne vint. Un messager
quitta Caer Sws, la capitale, et deux semaines plus tard Arthur prenait la
route du nord pour retrouver le roi ennemi. Il était escorté de douze
guerriers, dont moi, armés d’épées, mais sans lances ni boucliers. Nous étions
en mission de paix, et Arthur était tout excité à cette perspective. On emmena
Gundleus de Silurie avec nous et l’on commença par se diriger vers l’est, en
direction de Burrium, la capitale de Tewdric, ville romaine où l’on ne comptait
pas les armureries ni les forges qui empestaient la ville de leurs fumées. Tewdric
nous accompagna dans le nord avec son escorte. Agricola défendait la frontière
du Gwent avec les Saxons et Tewdric, comme Arthur, ne prit qu’une poignée de
gardes, même s’il se fit accompagner de trois prêtres, dont Sansum, le petit
prêtre courroucé à la tonsure noire que Nimue avait surnommé Lughtigern, le
Seigneur des Souris.
Nous formions
un détachement coloré. Les hommes de Tewdric portaient un manteau rouge sur
leurs uniformes romains, tandis qu’Arthur avait équipé chacun de ses guerriers
de nouveaux manteaux verts. Nous nous déplacions sous quatre bannières :
le dragon de Mordred pour la Dumnonie, l’ours d’Arthur, le renard de Gundleus
et le taureau de Tewdric. Gundleus chevauchait avec Ladwys, l’unique femme du
groupe. Elle avait retrouvé le sourire et Gundleus paraissait satisfait de
l’avoir de nouveau à ses côtés. Il était toujours prisonnier, mais il portait
une épée et avait droit à la place d’honneur, auprès d’Arthur et de Tewdric. Ce
dernier se méfiait encore de lui, mais Arthur le traitait comme un vieil ami.
Gundleus avait en fait un rôle à jouer dans son plan pour faire régner la paix
parmi les Bretons, une paix qui permettrait à Arthur de retourner ses épées et
ses lances contre les Saxons.
À la frontière
du Powys, nous accueillit une garde venue nous rendre les honneurs. Des joncs
furent jetés sur la route et un barde chanta la victoire d’Arthur sur les
Saxons dans la Vallée du Cheval Blanc. Le roi Gorfyddyd ne s’était pas déplacé
pour nous saluer, mais il avait dépêché Leodegan, le roi de Henis Wyren, dont
les Irlandais avaient pris les terres et qui se trouvait maintenant en exil à
la cour de Gorfyddyd. Il avait été choisi parce que son rang nous honorait,
bien que lui-même fût un abruti notoire. Extraordinairement grand, il était
aussi très maigre avec un long cou, des cheveux noirs mécheux et une bouche
molle et mouillée. Incapable de tenir en place, il passait son temps à
s’élancer ou à s’arrêter brusquement, à ciller, à se gratter ou à faire de
l’embarras. « Le roi aurait aimé être ici, mais en fait, c’était
impossible. Vous comprenez ? Mais tout de même salutations de
Gorfyddyd ! » C’est d’un œil envieux qu’il regarda Tewdric
récompenser le barde avec de l’or. Leodegan, devions-nous apprendre, était un
homme considérablement appauvri et il passait son temps à essayer de se refaire
des pertes immenses qu’il avait subies lorsque Diwrnach, le conquérant
irlandais, lui avait pris ses terres.
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