Le Roi de l'hiver
la salle. Jusque-là, personne n’avait vraiment compris avec quelle
célérité Arthur s’était emparé du pouvoir en Dumnonie. Qu’il siégeât aux côtés
de Bedwin et du prince Gereint suggérait que tous trois avaient un pouvoir
égal, mais voilà que ces propos affirmaient qu’il n’y avait qu’un seul
responsable. Et, par leur silence, Bedwin et Gereint signifiaient qu’ils
l’approuvaient. Ni l’un ni l’autre n’était dépouillé de son pouvoir, mais ils
s’en remettaient maintenant au bon plaisir d’Arthur, et son plaisir fut que
Bedwin arbitrerait les différends au sein du royaume, que Gereint garderait la
frontière saxonne, tandis qu’Arthur irait au nord pour combattre les forces du
Powys. Je savais, et peut-être Bedwin le savait-il aussi, qu’Arthur caressait
de grands espoirs de paix avec le royaume de Gorfyddyd, mais tant que la paix
ne serait pas conclue il resterait sur le pied de guerre.
Cet
après-midi-là, une grande délégation partit pour le nord. Accompagné de ses
deux guerriers et de Hygwydd, son serviteur, Arthur chevauchait en tête avec
Agricola et ses hommes. Morgane, Ladwys et Lunete étaient dans une carriole,
tandis que je marchais avec Nimue. Lunete était soumise, terrassée par la
colère de Nimue. Nous passâmes la nuit au Tor, où je pus voir que Gwlyddyn
faisait du bon travail. La nouvelle palissade était en place et une nouvelle
tour s’élevait sur les fondations de l’ancienne. Ralla était enceinte.
Pellinore ne me connaissait plus, mais se contentait d’arpenter sa nouvelle
cage comme s’il montait la garde et aboyait des ordres à d’invisibles lanciers.
Druidan reluquait Ladwys. Gudovan, le clerc, me fit voir la tombe d’Hywel, au
nord du Tor, puis conduisit Arthur au sanctuaire de la Sainte-Épine, où sainte
Norwenna était enterrée à proximité de l’arbre miraculeux.
Le lendemain
matin, je fis mes adieux à Morgane et à Nimue. Le ciel était de nouveau bleu,
le vent était froid. Je partais dans le nord avec Arthur.
*
Mon fils
naquit au printemps. Il mourut trois jours plus tard. Dans les jours qui
suivirent, la petite frimousse rouge et ridée revint me hanter et, à ce
souvenir, les larmes me montaient aux yeux. Il avait paru en bonne santé mais,
un matin, suspendu dans ses langes au mur de la cuisine pour le mettre hors de
portée des chiens et des porcelets, il mourut purement et simplement. Lunete
pleura, tout comme moi, mais elle me reprocha aussi la mort de son bébé,
affirmant que l’air de Corinium était pestilentiel, alors même qu’en vérité
elle était assez heureuse en ville. Elle aimait la propreté des constructions
romaines et sa petite maison de brique qui donnait sur une rue pavée et, contre
toute attente, elle s’était liée d’amitié avec Ailleann, la maîtresse d’Arthur,
et avec ses jumeaux, Amhar et Loholt. Moi aussi, je l’aimais bien, Ailleann,
mais les garçons étaient de petits diables. Arthur les gâtait, peut-être parce
qu’il se sentait coupable qu’ils ne fussent pas nés pour hériter : comme
lui, ils n’étaient que des bâtards qui devraient se hisser à la force du
poignet dans un monde cruel. À ma connaissance, ils ne recevaient jamais la
moindre correction – sauf une fois, lorsque je les surpris en train
d’éborgner un chiot avec un couteau. Je les frappai rudement. Le chiot étant
aveugle, je fis ce que me dictait la miséricorde et abrégeai au plus vite ses
souffrances. Arthur compatit, tout en me rappelant qu’il ne m’appartenait pas
de corriger ses marmots. Ses guerriers m’applaudirent et Ailleann, je crois
bien, approuva.
C’était une
femme triste. Elle savait que ses jours auprès d’Arthur étaient comptés, car son
homme était devenu le véritable chef du royaume le plus puissant de Bretagne et
il lui faudrait épouser une femme susceptible de conforter son pouvoir. Cette
femme, c’était Ceinwyn, je le savais, l’étoile et la princesse du Powys, et
j’ai dans l’idée qu’Ailleann le savait elle aussi. Elle souhaitait retourner à
Benoïc, mais Arthur ne voulait pas voir ses fils quitter le pays. Ailleann
savait qu’Arthur ne la laisserait jamais mourir de faim, mais il ne voudrait
pas non plus offenser sa royale épouse en gardant sa maîtresse à proximité.
Avec le printemps, les arbres se couvrirent de feuilles et la campagne de
fleurs. Ailleann était de plus en plus triste.
Les Saxons
attaquèrent au printemps, mais Arthur ne
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