Le Roi de l'hiver
Bien, bien. Certains ne
reviennent jamais. Les navires ne survivent pas. Nous devrions y songer. La
solution est-elle dans de plus gros bateaux, qu’en penses-tu ? Ou est-ce
que nous les construisons mal ? Je ne suis pas certain que nous soyons de
bons constructeurs de bateaux, même si nos pêcheurs jurent que si, mais
certains d’entre eux ne reviennent jamais non plus. Un problème. » Le roi
Ban s’arrêta à mi-chemin, au milieu de la pièce, et se gratta la tempe,
maculant un peu plus d’encre ses maigres cheveux. « Aucune solution
évidente ne s’impose, annonça-t-il enfin avant de me dévisager. Drivel,
n’est-ce pas ?
— Derfel,
Sire, répondis-je en mettant un genou à terre.
— Derfel ! »
Il répéta mon nom avec étonnement. « Derfel ! Laisse-moi réfléchir un
instant ! Derfel, j’imagine, si ce nom signifie quoi que ce soit, il veut
dire « qui appartient à un druide ». Est-ce ton cas, Derfel ?
— J’ai
été élevé par Merlin, Sire.
— Ah
oui ? Vraiment ! Ah ça, par exemple ! Sapristi. Je vois que nous
devons parler. Comment va mon cher Merlin ?
— Voici
cinq ans qu’on ne l’a revu, Seigneur.
— Il est
donc invisible ! Ha ! J’ai toujours pensé que ce pouvait être l’une
de ses ruses. Une ruse utile, aussi. Il faut que je demande à mes sages
d’enquêter. Allons, debout, relève-toi. Je ne souffre pas qu’on s’agenouille
devant moi. Je ne suis pas un Dieu, du moins je ne le pense pas. » Le roi
m’examina et sembla déçu. « Tu ressembles à un Franc ! observa-t-il
d’une voix perplexe.
— Je suis
Dumnonien, Sire, répondis-je fièrement.
— J’en
suis bien sûr, et un Dumnonien, je l’espère, qui précède ce cher Arthur,
n’est-ce pas ? » demanda-t-il impatient.
Je ne m’y
étais pas préparé. « Non, Seigneur. Arthur est assiégé par une foule
d’ennemis. Il se bat pour la survie de notre royaume et il m’a donc envoyé avec
quelques hommes, tous ceux dont il pouvait se passer, et je dois lui écrire
pour lui dire s’il en faut davantage.
— D’autres
seront nécessaires, assurément, dit Ban aussi fermement que le lui permettait
son mince filet de voix haut perché. Hélas oui ! Ainsi tu es venu avec
quelques hommes ? Combien au juste ?
— Soixante,
Seigneur. »
Le roi Ban se
laissa tomber sur un siège incrusté d’ivoire. « Soixante ! J’en avais
espéré trois cents ! Et Arthur en personne. Tu as l’air bien jeune pour être
un capitaine », ajouta-t-il sceptique. Puis il s’illumina. « Ai-je
bien entendu ? Tu as dit que tu savais écrire ?
— Oui,
Seigneur.
— Et
lire ? demanda-t-il anxieusement.
— En
effet, Sire.
— Tu
vois, Bleiddig ! s’exclama le roi d’une voix triomphante tout en se
relevant. Il est des guerriers qui savent lire et écrire ! Ils n’en sont
pas moins virils pour autant. Ça ne les ravale pas au rang insignifiant des
clercs, des femmes, des rois ou des poètes comme tu aimes à le croire.
Ah ! Un guerrier lettré. Par un heureux hasard, écrirais-tu de la
poésie ?
— Non,
Seigneur.
— Comme
c’est dommage. Nous formons une communauté de poètes. Une confrérie ! Nous
nous appelons les fili , et la poésie est notre austère maîtresse. C’est,
pour ainsi dire, notre tâche sacrée. Peut-être seras-tu inspiré ? Viens
avec moi, mon docte Derfel ! » Oubliant l’absence d’Arthur, Ban
traversa la pièce en proie à une vive excitation, me faisant signe de le suivre
à travers une seconde série de grandes portes et une autre petite pièce, où une
seconde harpiste, à demi nue comme la première et tout aussi belle, caressait
les cordes avant de pénétrer dans une grande bibliothèque.
Je n’avais
encore jamais vu de vraie bibliothèque et le roi Ban, ravi de montrer la pièce,
épiait ma réaction. J’étais ahuri, et pour cause ! Chaque rouleau
enrubanné était déposé dans un casier ouvert, taillé sur mesure, les écrins
s’empilant les uns sur les autres comme les cellules d’une ruche. Il y en avait
des centaines, chacune abritant son rouleau et portant une étiquette
calligraphiée avec soin. « Quelles langues parles-tu, Derfel ? me
demanda Ban.
— Le
saxon, Seigneur, et le breton.
— Ah !
fit-il déçu. Uniquement des langues grossières. Pour ma part, je maîtrise maintenant
le latin, le grec, le breton, cela va de soi, et quelques bribes d’arabe. Le
père Celwin, ici présent, parle dix fois
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