Le Roi de l'hiver
qu’est un
chameau, Bleiddig ?
— Une
sorte de charbon, Seigneur. Les forgerons s’en servent pour faire de l’acier.
— Vraiment ?
Comme c’est intéressant. Mais une sauterelle n’importunerait pas du charbon,
n’est-ce pas ? Ça ne risquerait guère d’arriver, alors pourquoi cette
suggestion ? Comme c’est déroutant. Il faut que je pose la question au
Père quand il sera d’humeur à être interrogé, ce qui n’arrive pas souvent.
Maintenant, jeune homme, je sais que tu es venu sauver mon royaume et je suis
sûr que tu as hâte de te mettre à l’œuvre, mais d’abord tu dois rester à
souper. Mes fils sont ici, tous les deux des guerriers ! J’avais espéré
qu’ils se consacreraient à la poésie et à la science, mais les temps exigent
des guerriers, n’est-ce pas ? Reste que mon cher Lancelot apprécie les fili tout autant que moi, et tout espoir n’est donc pas perdu. » Il s’arrêta,
fronça le nez et me gratifia d’un charmant sourire. « Tu prendras
volontiers un bain, je crois ?
— Si je
prendrai un bain ?
— Oui,
fit-il d’un ton ferme. Leanor te conduira à ta chambre, te préparera un bain et
te donnera des vêtements. » Il claqua des mains et la première harpiste se
présenta à la porte. Apparemment, c’était Leanor.
C’était un
palais au bord de mer, inondé de lumière et de beauté, hanté par la musique,
consacré à la poésie et chanté par ses habitants, qui paraissaient venus d’un
autre âge et d’un autre monde.
Puis je
rencontrai Lancelot.
*
« Tu n’es
guère plus qu’un enfant, me dit Lancelot.
— Vrai,
Seigneur. » Je mangeais du homard trempé dans du beurre fondu, et je ne crois
pas avoir jamais mangé avant ni depuis quelque chose d’aussi délicieux.
« Arthur
nous fait offense en nous envoyant un gamin, insista Lancelot.
— Faux,
répondis-je, la barbe dégoulinant de beurre.
— Tu
m’accuses de mentir ? demanda le prince Lancelot, Edling de Benoïc.
— Je
t’accuse de te fourvoyer, Seigneur Prince, répliquai-je dans un sourire.
— Soixante
hommes ! railla-t-il. Est-ce tout ce qu’Arthur peut trouver ?
— Oui,
Seigneur.
— Soixante
hommes conduits par un enfant ! » conclut Lancelot avec mépris. Il
avait à peine un an ou deux de plus que moi, mais sa lassitude était celle d’un
homme beaucoup plus âgé. Il était d’une beauté foudroyante, grand et bien bâti,
avec un visage étroit et des yeux sombres, aussi marquant dans sa virilité que
l’était celui de Guenièvre dans sa féminité, même si ces airs hautains avaient
quelque chose de déconcertant et de serpentin. Il avait des cheveux noirs
ramassés en boucles huilées par des peignes d’or, sa moustache et sa barbe
étaient parfaitement soignées et huilées, et son parfum sentait la lavande. Il
était le plus bel homme que j’eusse jamais vu et, ce qui est pis, il le savait.
Dès l’instant où je le vis, je le pris en grippe. Nous nous retrouvâmes dans la
salle de banquet de Ban, qui ne ressemblait en rien aux autres salles de
banquet que j’avais vues. Celle-ci avait des piliers de marbre, des rideaux
blancs qui voilaient de brume la vue sur la mer et des murs de plâtre lisses
sur lesquels étaient peints des Dieux, des Déesses et des animaux fabuleux. Des
serviteurs et des gardes étaient postés le long des murs de cette salle
élégante éclairée par une myriade de petits récipients en bronze où des mèches
flottaient dans l’huile, tandis que d’épaisses bougies de cire d’abeille se
consumaient sur la longue table couverte d’un linge blanc que je ne cessais de
maculer de gouttes de beurre, de même que je souillais la toge malcommode que
le roi avait voulu à tout prix me faire porter à la fête.
J’aimais la
chère et détestais la compagnie. Le père Celwin était présent et j’eusse saisi
avec joie l’occasion de discuter avec lui, mais il taquinait l’un des trois
poètes de la tablée, tous membres de la bande des fili chère au cœur du
roi Ban, tandis que j’étais isolé en bout de table avec le prince Lancelot. La
reine Elaine, qui siégeait à côté du roi, son époux, défendait les poètes
contre les traits acérés de Celwin, qui semblaient beaucoup plus amusants que
les commentaires furieux de Lancelot. « Arthur nous insulte,
recommença-t-il.
— Je suis
navré que tu le penses, Seigneur.
— Tu ne
discutes jamais, enfant ? »
Je plongeai
mon regard dans ses
Weitere Kostenlose Bücher