Le Roi de l'hiver
pierre,
toutes ornées des sculptures et des décorations dont on n’avait pas voulu dans
le palais de Ban, et toutes donnant sur une voie pavée qui grimpait par
escaliers autour de l’île jusqu’à la maison royale. Du côté est de l’île, il y
avait un petit quai de pierre où les bateaux pouvaient accoster, même si le
débarquement n’était confortable que par très beau temps, et c’est pourquoi nos
navires nous avaient déposés en lieu sûr, à un jour de marche, plus à l’ouest.
Au-delà du quai se trouvait un petit port, qui n’était qu’un bassin de marée
protégé par des digues de sable. A marée basse, le bassin était coupé de la mer
tandis qu’à marée haute il faisait un havre peu sûr avec le vent du nord. Tout
autour de l’île, à la base, sauf aux endroits où la falaise de granit était
trop raide pour qu’on pût l’escalader, un mur de pierre prétendait tenir en
respect le monde extérieur. Hors d’Ynys Trebes, tout n’était que tumulte,
ennemis francs, sang, misère et maladie ; dans ses murs, régnait au
contraire la science, la musique, la poésie et la beauté.
Ma place
n’était pas dans la capitale insulaire chérie du roi Ban. Ma mission était de
défendre Ynys Trebes en combattant sur la terre ferme de Benoïc, où les Francs
pillaient les fermes qui entretenaient la somptueuse capitale, mais Bleiddig
insista pour que je visse le roi. Je me laissai donc guider à travers la digue,
franchis la porte décorée d’une sculpture de triton brandissant un trident,
puis grimpai la route escarpée qui conduisait au sublime palais. Tous mes
hommes étaient restés sur la terre ferme, mais j’aurais aimé leur faire voir
les merveilles de la cité : les portes sculptées ; les escaliers de
pierre raides creusés dans le granit entre les temples et les boutiques ;
les maisons à balcons décorés d’urnes de fleurs ; les statues et les
sources qui approvisionnaient en eau fraîche des bassins de marbre sculptés, où
chacun pouvait plonger une seille ou se désaltérer. Bleiddig, qui me servait de
guide, ne cessa de rouspéter que la cité gaspillait du bon argent qu’il eût
fallu employer pour renforcer les défenses à terre, mais, pour ma part, ce
grandiose spectacle m’impressionnait. Cet endroit, pensais-je, méritait qu’on
se batte pour lui.
Bleiddig me
fit franchir la dernière porte décorée d’un triton qui donnait sur la cour du
palais. Les bâtiments couverts de plantes grimpantes occupaient trois côtés de
la cour, tandis que le quatrième était délimité par une série d’arches blanches
qui dominaient la mer. À chaque porte étaient postés des gardes en manteaux
blancs, la hampe de leur lance bien polie et le fer brillant. « Ils ne
servent à rien, marmonna Bleiddig. Ils ne feraient pas peur à un chiot, mais
ils ont fière allure. »
Un courtisan
en toge blanche nous accueillit à la porte du palais et nous escorta à travers
une enfilade de chambres, toutes regorgeant de trésors rares. Il y avait des
statues d’albâtre et de la vaisselle en or ; une pièce était couverte de
miroirs devant lesquels je restai bouche bée en apercevant mon lointain reflet
qui se répétait à l’infini : un soldat barbu et crasseux avec son manteau
de bure, de plus en plus petit à mesure que je m’enfonçais dans les plis du
miroir. Dans la pièce suivante, toute peinte en blanc et sentant les fleurs,
une fille jouait de la harpe. Elle portait une tunique courte et rien d’autre.
Elle sourit lorsque nous passâmes devant elle et continua à jouer. Ses seins
étaient dorés par le soleil, ses cheveux courts et son sourire engageant.
« On dirait un bordel, chuchota Bleiddig de sa voix rauque. Dommage que ça
n’en soit pas, on en aurait l’usage. »
Le courtisan
en toge ouvrit la dernière porte à deux battants et aux poignées de bronze et
s’écarta pour nous faire entrer dans une vaste pièce qui donnait sur la mer
chatoyante. « Sire, fit-il en s’inclinant devant l’unique occupant de la
pièce, le chef Bleiddig et Derfel, capitaine de Dumnonie. »
Un grand homme
maigre au visage inquiet et aux cheveux blancs clairsemés quitta sa table où il
écrivait sur un parchemin. Une risée de vent fit bouger son ouvrage et il
s’affaira, le temps de glisser les coins de son parchemin sous des cornes à
encre et des pierres de serpent. « Ah, Bleiddig, fit le roi en s’avançant
vers nous. Tu es de retour, à ce que je vois.
Weitere Kostenlose Bücher