Le Roi de l'hiver
d’une métaphore. »
Je crachai
dans le feu. « Lancelot est un vermisseau.
— Non,
rectifia Galahad. Il est tout simplement Lancelot. Il obtient ce qu’il veut et
il passe ses journées à intriguer pour parvenir à ses fins. Il sait être très
charmant, très enjôleur, il pourrait même faire un grand roi.
— Jamais,
dis-je avec fermeté.
— Vraiment.
Si c’est le pouvoir qu’il veut, et tel est le cas, et s’il le reçoit, peut-être
ses appétits seront-ils assouvis ? Il veut être aimé.
— Étrange
manière de s’y prendre, fis-je, me souvenant des taquineries de Lancelot à la
table de son père.
— Il a
su, dès le départ, que tu ne l’aimerais pas et il t’a provoqué. Ainsi, en
faisant de toi son ennemi, il peut s’expliquer que tu ne l’aimes pas. Mais avec
ceux qui ne le menacent pas, il peut être bon. Il pourrait être un grand roi.
— C’est
un faible », tranchai-je avec mépris.
Galahad
sourit. « Derfel le Fort. Derfel qui ne connaît pas le doute. Tu dois tous
nous trouver faibles.
— Non,
mais je crois que nous sommes tous fatigués, et comme demain il nous faut tuer
des Francs je vais dormir. »
Le lendemain,
nous tuâmes des Francs puis allâmes prendre du repos dans l’un des forts de
Ban, au sommet d’une colline. Puis, nos blessures bandées et nos épées de
nouveau aiguisées, nous retournâmes dans les bois. Mais semaine après semaine,
mois après mois, les combats se rapprochaient d’Ynys Trebes. Le roi Ban demanda
à son voisin, Budic de Brocéliande, d’envoyer des troupes, mais celui-ci
fortifiait sa propre frontière et refusa de gaspiller des hommes pour défendre
une cause perdue. Ban en appela à Arthur, et Arthur lui envoya une petite
cargaison d’hommes, mais il ne vint pas en personne. Il était trop occupé à
combattre les Saxons. Nous recevions des nouvelles de Bretagne, qui étaient
rares et souvent vagues, mais nous sûmes que de nouvelles hordes saxonnes
essayaient de coloniser les terres centrales et faisaient pression sur les
frontières de Dumnonie. Gorfyddyd, qui était si menaçant quand j’avais quitté
la Bretagne, s’était calmé ces derniers temps en raison d’une terrible épidémie
qui avait affligé son pays. Des voyageurs nous rapportèrent que Gorfyddyd
lui-même était malade et beaucoup pensaient qu’il ne passerait pas l’année. La
même maladie qui avait affligé Gorfyddyd avait tué le fiancé de Ceinwyn, un
prince du Rheged. Je n’avais même pas su qu’elle était de nouveau fiancée et
c’est avec un plaisir égoïste, je l’avoue, que j’appris que le prince mort
n’épouserait donc pas l’étoile du Powys. De Guenièvre, de Nimue ou de Merlin,
aucune nouvelle.
Le royaume de
Ban s’effondra. La dernière année, on ne trouva plus d’hommes pour rentrer la moisson
et nous passâmes l’hiver entassés dans une forteresse où nous vécûmes de
venaison, de tubercules, de baies et de sauvagine. De temps à autre, nous
faisions encore des incursions en territoire franc, mais nous étions désormais
pareils à des guêpes piquant un taureau jusqu’à la mort, car les Francs étaient
partout. Les haches résonnaient à travers nos forêts tandis qu’ils défrichaient
la terre pour leurs fermes qu’ils entouraient de nouvelles palanques de rondins
bien fendus qui brillaient sous le soleil hivernal.
Au début du
printemps, nous dûmes reculer devant une armée de guerriers francs venus avec
des battements de tambours et sous des bannières faites de cornes de taureaux
montées sur des perches. Je vis un mur de boucliers de plus de deux cents hommes
et sus que nos cinquante survivants ne pourraient jamais l’enfoncer ;
flanqué de Culhwch et de Galahad, je décidai donc de battre en retraite. Les
Francs nous raillèrent et nous pourchassèrent en faisant pleuvoir sur nous une
grêle de javelines.
Le royaume de
Benoïc s’était dépeuplé. La plupart avaient trouvé refuge en Brocéliande, qui
promettait de la terre à ceux qui consentaient à porter les armes. Les
anciennes colonies romaines désertées, le chiendent envahissait les champs.
Nous autres, Dumnoniens, nous marchâmes vers le nord en traînant nos lances
pour défendre la dernière forteresse du royaume de Ban : Ynys Trebes
elle-même.
La ville
insulaire était bondée de fugitifs. Chaque maison en hébergeait une vingtaine.
Des enfants pleuraient, des familles se chamaillaient. Des canots de pêche
transportèrent
Weitere Kostenlose Bücher